Les femmes de l'ombre du rap français

Portraits de trois femmes de l’ombre incontournables du rap. Trois femmes, trois métiers, une ambition : être au top du rap game.

À la rencontre des femmes de l’ombre du rap français


Avec l’humoriste Fatou Guinea, Brut est allé interviewer les femmes puissantes qui dirigent de gros labels ou qui gèrent la production de clips. Et elles n’ont évidemment rien à envier à leurs homologues masculins.


Le rap a ses clichés, et les femmes-objets plantureuses et dénudées en font partie… Pourtant, loin de ces lieux communs, des femmes tirent les ficelles de cette industrie parfois misogyne et difficile d’accès. Brut a rencontré trois de ces femmes au top du rap game : la réalisatrice Leïla Sy, la directrice du label Def Jam Pauline Duarte et la coordinatrice de projets musicaux chez Wati-B Rajaa.


« La culture hip-hop a été une espèce de tuteur autour duquel j'ai réussi à grandir »


La réalisatrice et directrice artistique Leïla Sy a travaillé avec les rappeurs français les plus populaires : Fianso, Jul, Youssoupha, Orelsan, Vald… Elle a par ailleurs co-dirigé le film Banlieusards, disponible sur Netflix, avec le rappeur Kery James. « J'ai commencé la danse à 11 ans et c'est à ce moment-là que j'ai découvert le hip-hop, la musique, le son, le rap et tout ce qui va avec. La culture hip-hop a été une espèce de tuteur autour duquel j'ai réussi à grandir* », se souvient Leïla Sy.


Quand on lui demande ce qu’elle pense de la notion de « femmes de l’ombre », la réalisatrice admet qu’elle a commencé à réfléchir à cette problématique il y a peu. « Ce sont des questions qui arrivent depuis deux, trois ans. À l'époque, je ne regardais pas si je travaillais avec une femme ou un mec. Je travaillais avec des créatifs, des artistes. Maintenant, je suis beaucoup plus attentive. »


« Les femmes sont de grandes consommatrices de rap et elles ont toujours participé à l'histoire »


Si elle a pu douter à ses débuts, aujourd’hui, Leïla Sy est sûre de sa valeur. Et elle ne laissera personne lui dire le contraire. « Quand je suis sur un tournage, je suis à MA place. Que les gens t'aiment ou te détestent, l'important dans la vie, c'est de ne pas laisser indifférent. Encore aujourd'hui, quand on fait des clips, ou même pour mon film, des gens nous descendent. Moi je dis : "Écoute, quoi qu'il arrive, tu l'as maté, et t'as des trucs à dire… et tu réfléchis autour du sujet, donc notre objectif est dans l'absolu, rempli." »


Le rappeur Kery James, qui a co-réalisé Banlieusards avec Leïla Sy, la connaît de longue date, et l’a vue évoluer dans le milieu. « On a des rapports très privilégiés. Qu'un homme, par exemple, essaie de prendre sa place aujourd'hui, ce serait très, très, très compliqué pour lui. J’ai le sentiment qu'il y a toujours eu des femmes dans le rap et dans le milieu hip-hop. Déjà, les femmes sont de grandes consommatrices de rap et elles ont toujours participé à l'histoire », affirme l’artiste.


« Avoir l'avis d'une femme dans la musique, c'est autre chose »


Leïla Sy le reconnaît, percer dans le milieu du rap est difficile, et ça l’est d’autant plus quand on est une femme. Mais elle apprécie ce combat. « Ça te donne une énergie qui te permet de te transcender. On vit dans une société où c'est compliqué pour les femmes. C'est un milieu où c'est dur, mais c'est dur partout pour les nénettes. Je pense que c'est le top d'être une femme. Désolé messieurs, mais là on rentre dans l'ère de la femme et on est au top de notre game et c'est comme ça. »


Un discours résolument positif et féministe partagé par Pauline Duarte, qui dirige le label Def Jam. Ce label de rap historique a su traverser le temps, en signant notamment IAM, Kool Shen, Disiz la Peste, ou Koba LaD, Kaaris et Kalash Kriminel aujourd’hui. « Je suis un bébé du rap. Aujourd'hui, je suis peut-être dans un rap plus moderne avec des artistes qui ont tous été très contents de ma nomination, parce qu'avoir l'avis d'une femme dans la musique, c'est autre chose », assure Pauline Duarte.


« À mêmes compétences, tu vois des mecs passer devant toi »


Pour se faire une place, elle a dû travailler plus qu’un homme. « Je suis la première femme qui dirige un label de rap en France. J'ai vécu des injustices en tant que femme dans cette industrie. À mêmes compétences, tu vois des mecs passer devant toi, on leur donne des labels. Toi tu ne bouges pas, tu stagnes. T'es obligée de faire des moves. À chaque fois que j'ai vu que ça ne bougeait pas, j'ai décidé de partir », raconte la directrice de Def Jam.


Aujourd’hui, elle conseille à toutes les femmes qui souhaitent s’imposer dans un milieu ultra compétitif de ne jamais douter de leurs compétences. « Il faut oser, il faut demander, il faut arrêter d'avoir peur et il faut avoir confiance en soi. Je sais que c'est facile à dire, mais en tout cas, il faut éduquer nos filles à être des femmes fortes, à être comme les garçons. Ça passe par l'éducation. »


« Une femme féministe, c’est une femme qui essaie de se battre contre les barrières de l’auto-censure »


Rajaa aussi a dû faire ses preuves dans un milieu ultra testostéroné. Originaire de Bobigny, elle est passée Sciences Po, puis a rejoint le label à Wati B, où elle travaille maintenant depuis 10 ans en tant que coordinatrice de projets musicaux. Wati B, c’est Sexion d'Assaut, 4Keus, Black M… Des icônes du rap français de la dernière décennie. « Une femme féministe, pour moi, c’est une femme déterminée, c’est une femme qui essaie de se battre contre les barrières de l’auto-censure », déclare Rajaa.


Le rappeur JR O Crom, qui fait partie du label, est admiratif de son parcours. « Une meuf, quand elle rentre dans un truc, surtout des métiers où d'habitude, c'est des métiers de bonhomme, c'est dur. Elles doivent travailler deux fois plus. C'est bien aussi qu'il y ait des femmes pour montrer aux gens que ce n’est pas un milieu aussi misogyne que ça, c'est pas un milieu aussi dur que ça », se réjouit l’artiste.


« Soit tu me parles de mes compétences, soit tu ne me parles pas »


Si Rajaa est pleinement consciente de ses capacités et de sa légitimité, ça n’a pas toujours été le cas. Et pour cause : elle a dû beaucoup prendre sur elle. « On va essayer de te faire sentir que tu n'es pas à ta place. Plus on grandit et plus on est expert dans son domaine. Plus on a confiance et plus on sait ce qu'on dit. »


Aujourd'hui toutefois, plus personne ne pourra la faire douter. Et encore moins en raison de son genre. « On ne peut plus me renvoyer à ma « place de femme ». Soit tu me parles de mes compétences, soit tu ne me parles pas. »


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