Les vrais zombis d'Haïti par Philippe Charlier

Là-bas, les zombies existent vraiment : ce sont des personnes qui ont été enterrées vivantes. Voici comment des sociétés secrètes d'Haïti rendent justice avec une peine "pire que la mort", la zombification…

“Il y a pas mal de types de zombis en Haïti”


Les zombies en Haïti, c’est une justice réalisée sur les vivants qui font du mal par des sociétés secrètes” explique Philippe Charlier, anthropologue et médecin légiste. “Il y a pas mal de types de zombis en Haïti. C’est un violeur, un voleur, un captateur d’héritage, un assassin. Et, eh bien, la justice des hommes n’est pas forcément idéale et du coup, on va pouvoir utiliser contre lui une justice divine, une justice surnaturelle. Cette personne va être convoquée sept fois de suite devant des sociétés secrètes, Chanpwèl, Cochon Gris, Cochon Marron, Bizango, qui se disent les descendants des esclaves révoltés contre les Français à la toute fin du 18e siècle. Si au fur et à mesure elle prouve qu’elle est totalement innocente, on va lui dire : “C’est bon, tu peux partir, il ne te sera fait aucun mal.” Si, malgré tout, cette personne persiste et signe, on va lui dire qu’elle va être condamnée à une peine pire que la mort. Et cette peine, c’est la zombification”. 


Elle va être droguée un jour, sans savoir exactement quel jour. On lui met une drogue dans ses chaussures, par exemple, dans ses vêtements. C’est un composé à base de foufou, de fugu, c’est un poisson, le poisson globe, qui est entièrement toxique. Et ça va provoquer un état assez second pour l’individu. Le seul problème, c’est que c’est une drogue, la tétrodotoxine, la substance active de ce poisson, qui ne passe pas à travers la peau. Donc il faut rajouter d’autres produits et notamment de la bave de crapaud, du jus de vipère, des extraits végétaux. La personne va se gratter un tout petit peu et en se grattant, le poison va pénétrer à l’intérieur du corps. Ça, ça se passe vers 6h du matin. Vers 11h, midi, la personne est en état de mort apparente. Elle est intoxiquée”.

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Le rythme cardiaque de la personne va alors diminuer. Son rythme respiratoire et sa température corporelle aussi. “Elle a les yeux grands ouverts, elle voit tout, elle entend tout, elle comprend tout. Mais elle ne peut pas bouger, elle ne peut pas interagir et tout le monde autour d’elle pense qu’elle est morte. Sauf, évidemment, les gens qui l’ont droguée. Cette personne va être allongée. Il va y avoir des funérailles assez rapides, elle va être mise dans un cercueil avec un verre au niveau du visage. Et les gens vont venir la voir, vont venir lui parler, notamment ceux qui l’ont droguée. Ils vont lui dire : “Retiens bien mon visage car c’est moi qui t’ai droguée. Désormais, tu es mon esclave, tu m’appartiens, à partir de maintenant, tu es un zombi.” Et puis, cette personne-là va être enterrée, et j’ai rencontré quelques zombis qui se sont échappés et ils m’ont raconté la fermeture du cercueil, les pelletées de terre qui tombent sur cette vitre, jusqu’à l’obscurité totale dans le fond de la sépulture, ou encore le crissement, le “grrr” du cercueil qu’on pousse sur le béton à l’intérieur de la logette funéraire dans le cimetière.

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Philippe Charlier continue : “Et puis, le temps va passer, 1 heure, 2 heures, 3 heures, on est à la fin de la journée. Vers minuit, 1h, 2h du matin, le sorcier, le bokor, va venir ressortir le cercueil. Il va profaner la sépulture et avec ses aides, qu’on appelle des loups-garous, il va briser le cercueil, sortir le corps de ce qu’il faut bien appeler désormais un zombi, flageller cette personne avec des herbes, histoire de rompre, non pas la rigidité cadavérique, mais la raideur musculaire qui s’est installée. Et puis, c’est aussi une façon de lui dire que maintenant, tu es un esclave et je commence à te donner des coups de fouet. On va également lui donner un antidote, du concombre zombi en l'occurrence, qui va diminuer un tout petit peu cet état de mort apparente. Et puis on va lui changer son nom, d’ailleurs il n’aura plus de nom, elle n’aura plus qu’un prénom, comme les esclaves du temps passé. Et, dans la nuit, cette personne va être transportée à l’autre bout de l’île”. 


Et elle va aller désormais vivre une autre vie, une vie de zombi dans un champ de canne à sucre, dans une rizière, dans une usine, ou au service propre d’un bokor. Et ça peut durer comme ça pendant des années. Cette personne va être privée de son état de conscience par des médicaments, benzodiazépines, barbituriques, qu’on peut lui donner, soit par un régime sans sel. Et au fur et à mesure de ce régime sans sel, la personne mange par terre sur une feuille de bananier, comme les esclaves de l’ancien temps, eh bien, elle va développer un œdème cérébral qui va faire qu’elle va perdre tout état, non seulement de conscience, mais surtout elle va être dans un état d'hébétude permanente. Aucun libre arbitre. C’est ça ce qu’on appelle un zombi. C’est vraiment une procédure juridique, religieuse, mystique. Mais attention, certains s’en servent aussi de façon dévoyée. J’ai rencontré deux zombis qui, eux, se sont faits zombifiés, non pas par cette coutume classique et bien organisée, mais par leur belle-mère ou par leur mari qui souhaitaient se débarrasser d’eux. Ça, c’est ce qu’on appelle des zombis criminels, non pas des zombis juridiques”. 


Certains zombis arrivent à se sortir de ce cercle infernal généralement parce qu’il y a une catastrophe qui se produit, un tremblement de terre qui fait s’effondrer la maison du bokor, un ouragan ou autre chose, et eux étaient en train de travailler dans les champs. Alors forcément, leur maître ou leur maîtresse meurt et ils vont devoir s’alimenter tout seul et là, ils vont pouvoir s’alimenter avec ce qu’ils vont trouver sur place, de l’arachide, du maïs, du manioc, ou autre, et là, il y aura un peu de sel. Et puis également, si leur maître meurt, on ne va plus leur donner cette charge quotidienne de médicaments psychotropes. Donc au fur et à mesure, ils vont récupérer une petite partie de leur conscience. Ce qui restera, en revanche, c’est ce grand trouble psychiatrique, le fait d’avoir été enterré vivant dans un cercueil, sans savoir si oui ou non on va s’en sortir, c’est un choc monstrueux qui, malheureusement, laisse des traces. C’est pour ça qu’une des deux zombis que j’ai pu rencontrer, Adeline, vivait dans un hôpital psychiatrique à Port-au-Prince, car les dégâts étaient trop importants au niveau de sa psychée”. 

 

C’est totalement illégal, bien entendu. C’est une pratique qui est absolument réprimandée par la justice d’Haïti, par le Code pénal. Et c’est puni d’un enfermement, la peine de prison, et d’une forte amende, au même titre qu’une mort véritable. C’est la même peine. Zombifier quelqu’un et tuer quelqu’un, en termes de loi en Haïti, c’est la même chose. La pratique est encore bien vivace en Haïti. Quand on lit l’équivalent d’un grand quotidien, Le Nouvelliste, à Port-au-Prince, la capitale, quasiment tous les 15 jours, toutes les 3 semaines, il y a un grand zombi qui réapparaît. On peut estimer le nombre de zombis officiels à probablement 1000, 1500 en Haïti actuellement. Très certainement, ce chiffre est largement sous-évalué, on peut imaginer qu’il y en a probablement dix fois plus” conclut l’anthropologue et médecin légiste, Philippe Charlier. 


Les zombies dans la fiction

Depuis des siècles, l'histoire d'Haïti est imprégnée de mystères, de légendes et de traditions culturelles uniques. Parmi ces récits, celui des zombies tient une place particulière. Les zombies, à la fois créatures effrayantes et emblèmes de la culture vaudou haïtienne, ont captivé l'imagination du monde entier. Cette histoire fascinante mêlant vivants et morts, magie et science, continue de susciter l'intérêt de nombreux auteurs, cinéastes et chercheurs. Et n'est pas qu'un sujet de fiction en Haïti. Le vaudou, une pratique spirituelle afro-caribéenne, joue un rôle central dans la genèse du mythe des zombies. Les Haïtiens croient que les bokors, des prêtres vaudous sombres et puissants, possèdent le pouvoir de zombifier des individus. Selon la croyance, un zombi est un être humain transformé en une créature sans âme et soumise à la volonté du bokor. C'est une réalité dans le pays, comme l'explique l'anthropologue, médecin légiste et auteur français, Philippe Chartier. 


L'histoire des zombies remonte à l'époque de l'esclavage lorsque les Haïtiens se sont battus pour leur indépendance. Durant cette période tumultueuse, les récits de zombies servaient souvent de métaphore aux esclaves révoltés contre leurs maîtres. Le code Noir français interdisait la pratique du vaudou, mais les Haïtiens ont maintenu leurs coutumes et croyances secrètes. Les bokors utilisaient la zombification pour maintenir la crainte et le contrôle au sein des communautés. Un des premiers auteurs à populariser l'histoire des zombies en dehors d'Haïti fut William Seabrook, un écrivain américain, qui publia en 1929 un livre intitulé "The Magic Island." Seabrook décrivit les pratiques vaudous et introduisit le concept de zombies au public occidental. Cependant, l'approche sensationnaliste de Seabrook a contribué à déformer et à stéréotyper la culture haïtienne, réduisant le vaudou à une simple pratique occulte.


Dans les années 1960, George A. Romero, réalisateur américain, a donné une nouvelle dimension au mythe des zombies avec son film légendaire "La Nuit des Morts-Vivants." Ce film iconique a créé le modèle moderne des zombies en tant que morts-vivants dévoreurs de chair humaine. Bien que cette représentation diffère de la zombification vaudoue traditionnelle, elle a eu un impact significatif sur la culture populaire et a popularisé les zombies dans le monde entier. Au fil du temps, d'autres auteurs, cinéastes et chercheurs ont exploré diverses facettes des zombies en Haïti et dans le monde. Certains ont abordé le sujet du point de vue scientifique, cherchant à comprendre les effets réels de la zombification. Des études ont examiné les cas présumés de personnes zombifiées, tentant de démêler les faits des superstitions. C'est ce qu'explique dans cette vidéo Philippe Charlier, auteur et scientifique français. Plus récemment, la série "Walking Dead" met également en scène une série de morts vivants ou zombis. 

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