États-Unis : les dessous de la captivité des grands fauves

Partout dans le monde, ces espèces sont protégées. Mais aux États-Unis, les grands fauves sont un business comme un autre… Brut nature a enquêté.

Il y a désormais plus de tigres en captivité aux États-Unis qu’en liberté dans le monde


C’est le triste constat des ONG. On estime qu’entre 5.000 et 10.000 tigres vivent en captivité aux États-Unis, dans des zoos ou chez des particuliers.


« On estime qu’entre 5.000 et 10.000 tigres en captivité se trouvent aux États-Unis », affirme, responsable scientifique du programme « Tigres » de Panthera, une organisation caritative de protection des grands félins. Cependant, aucun recensement précis n'existe à l’échelle des États-Unis, car il n’y a pas de loi fédérale qui encadre la possession de fauves.


14 États autorisent la possession d’animaux exotiques, et trois n’ont aucune régulation


« C'est illégal en vertu de l’United States Endangered Species Act. De nombreux États comme le Colorado ont des lois très strictes contre la possession des fauves. Mais de nombreux autres États l’autorisent, et certains autorisent même la propriété privée », alerte John Goodrich.


En 2020, 20 États ont interdit formellement aux particuliers de posséder tout animal exotique : 13 États interdisent uniquement la possession de certaines espèces, et 14 autorisent la possession d’animaux exotiques avec licence ou permis. Enfin, le Nevada, l’Alabama et la Caroline du Nord n’ont aucune régulation spécifique.


« Dans certains États, selon les lois locales, des gens ont des tigres dans leur jardin comme animaux de compagnie. Seul un petit nombre, quelques centaines, se trouvent dans des zoos accrédités », précise Sharon Guynup, journaliste d’investigation au National Geographic explorer.


Un business juteux


La plupart de ces fauves « de compagnie » vivent dans des conditions en-dessous des normes standards, dans des zoos amateurs et des ménageries privées. Certaines de ces ménageries possèdent des centaines d’animaux sur plusieurs hectares. Les zoos amateurs peuvent facturer 10 dollars une photo avec un fauve, voire 500 dollars une session de jeu privée. Certains propriétaires revendent par ailleurs leurs fauves à d’autres particuliers, ou les louent pour des spectacles et des tournages de films.


Pour être plus attractifs, certains zoos possèdent des animaux rares, comme des tigres blancs ou des animaux hybrides. « Beaucoup de ces ménageries croisent des tigres et des lions pour créer des ligres, des tigons, et les font parfois se reproduire à nouveau pour créer des liligres ou des litigons. Tous ces animaux présentent de graves problèmes de santé. Ce sont des chimères qui n’existent pas dans la nature. Ils sont uniquement créés pour attirer les touristes », déplore Sharon Guynup.


Des animaux sauvages dangereux


Ce secteur d’activité a déjà abouti à des drames. Comme en 2011 à Zanesville, dans l’Ohio, où un propriétaire a libéré 50 animaux exotiques avant de se suicider. Cet incident a obligé les habitants à se confiner chez eux, et les forces de l’ordre locales à abattre tous les fauves. 18 tigres du Bengal, 17 lions et une dizaine d’autres animaux sauvages ont été tués par la police.


« Les tigres ne sont pas des animaux domestiques qui auraient connu des centaines ou des milliers d'années d'élevage en captivité. Ce sont des animaux sauvages, ils peuvent atteindre 200 kg ou plus. Ce ne sont en aucun cas des animaux de compagnie et la propriété privée met en danger les personnes et les tigres qu'ils possèdent », explique John Goodrich.


Des conditions de vie à la limite de la torture


Dans ce secteur d’activité, les conditions de vie des animaux sont également très critiquées. « Nous constatons très souvent une mauvaise alimentation et de mauvais soins vétérinaires, tout simplement parce que c'est trop cher. Ces animaux finissent par souffrir de nombreuses maladies métaboliques et nutritionnelles à cause de la façon dont ils sont détenus », développe Danika Oriol-Morway, directrice de FOUR PAWS USA.


« Nous avons vu des tigres qui louchaient horriblement, à tel point qu’ils avaient du mal à se déplacer. Leur vision était terrible. Certains avaient la colonne vertébrale déformée à cause de mauvais traitements, d’une mauvaise alimentation, ils ressemblaient presque à des chameaux », abonde Sharon Guynup.


Des enclos sales et étroits et des blessures ouvertes laissées sans soin


Les habitats de beaucoup de ces animaux sont terrifiants : des enclos sales et étroits ou des blessures ouvertes laissées sans soin. « Chaque fois que vous voyez une installation où vous pouvez toucher ou entrer en contact direct avec un fauve, ce devrait être un drapeau rouge absolu. C’est que vous êtes dans une ménagerie privée anti-conservation, anti-bien-être animal ou dans un zoo irresponsable », résume Carson Barylak, directrice de campagne chez IFAW, une association de protection animale.


On se débarrasse des bébés dès 4 mois


Les méthodes employées pour alimenter le commerce et fournir suffisamment d’animaux sont elles aussi critiquées. « Certains éleveurs font se reproduire massivement des femelles. Elles sont contraintes de mettre bas deux à trois fois par an, contre un petit tous les deux ans en temps normal dans la nature », affirme Sharon Guynup.


Elle poursuit : « Les zoos amateurs donnent les bébés aux touristes pour qu’ils les caressent, les nourrissent, les prennent en photo, jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 4 mois. Là, leur heure est venue, ils sont trop grands et dangereux pour être caressés, et ils sont abandonnés. La grande question est : que deviennent-ils ? »


« Il m'a fallu environ 20 secondes pour trouver de petits tigres blancs vendus sur Internet »


Certains sont tués. D’autres finissent dans des sanctuaires, qui les gardent à vie et qui leur offrent une alimentation et des soins adaptés. D’autres encore sont vendus comme animaux de compagnie. « Il m'a fallu environ 20 secondes pour trouver de petits tigres blancs vendus sur Internet pour seulement 2.000 dollars, à peine plus cher que ce que vous auriez payé pour un chien de race », affirme John Goodrich.


Soutenir ce commerce et le braconnage sont les principaux moteurs du déclin des tigres dans la nature, d’après les ONG. Nombre d’entre elles alertent sur cette sombre industrie depuis des années et évoquent une véritable « crise des fauves » aux États-Unis. En février 2019, afin de mieux encadrer ces pratiques, des parlementaires ont proposé une réglementation fédérale : the Big Cat Public Safety Act.


Cette réglementation est actuellement examinée dans les deux chambres du Congrès. Elle pourrait permettre d’interdire la possession privée de grands félins et le contact direct avec des bébés fauves.


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