L'Arabie saoudite peut-elle se passer du pétrole ?

"Tout le monde sait, en Arabie saoudite, que le pétrole n'est pas éternel." Mais le pays peut-il vraiment s'en passer ? Réponse avec Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques et spécialiste du golfe Arabo-Persique.

“La richesse de l'Arabie saoudite, c'est d'abord le pétrole”


L'Arabie saoudite n'a pas été toujours un pays riche. Tout le monde sait que le pétrole n'est pas éternel.”, selon Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques et spécialiste du golfe Arabo-Persique. À l’été 2023, les clubs de football saoudiens ont dépensé des centaines de millions de dollars pour acquérir des joueurs stars, comme Neymar, Karim Benzema ou encore N’Golo Kanté. Un mercato qui a fait beaucoup réagir, tout comme les nombreux projets futuristes lancés en grande pompe par l'Arabie saoudite et qui pèsent quant à eux jusqu'à 500 milliards de dollars. 

Le désastre écologique causé par l'exploitation du pétrole


Pour Nabil Ennasri, la richesse de l'Arabie saoudite se trouve d’abord dans son sous-sol. “Les réserves prouvées en Arabie saoudite culminent à peu près jusqu'à 25%, selon certaines estimations, du pétrole mondial, ça veut donc dire que le quart du pétrole du monde entier se trouve sous le sol de l'Arabie saoudite.” Le pays naît officiellement en septembre 1932. Il est essentiellement désertique, avec très peu de villes. Le pays héberge alors une société fragmentée, cadenassée par une forme de tradition bédouine, qui sont des tribus nomades, à l'époque, qui peuplent l'essentiel de la population saoudienne. Ces populations vont se sédentariser, s’urbaniser et développer des infrastructures civiles modernes de l'État saoudien.  

La crise du pétrole, une chance d'accélérer la transition énergétique ?


1938 : la découverte du pétrole


En 1938, la découverte du pétrole marque un tournant. Les revenus générés par l'exploitation pétrolière accompagnent le développement du pays et lui permettent de se positionner sur la scène internationale. Dans la seconde moitié du 20e siècle, le pétrole saoudien irrigue les économies occidentales. “L'Arabie saoudite va vivre, à l'instar de tous les pays du Golfe, une forme de révolution sociétale en l'espace de quelques dizaines d'années.” Donc on a énormément de pétrole, qui génère une manne financière considérable, avec une date qu'il faut retenir en particulier, c'est 1973.” Le conflit israélo-arabe s'est rallumé brutalement au Proche-Orient. 1973 marque une vraie rupture. Les États producteurs de pétrole décident une forme de boycott, qui va durer quelques jours, au gré d'une guerre entre Israël et les pays arabes. Si plusieurs milliers de morts sont à déplorer, la principale préoccupation des grandes puissances se porte sur l’arme suprême des pays arabes, le pétrole.


Ce choc pétrolier va provoquer un quadruplement des prix du baril, ce qui va engendrer des réserves financières considérables. “Le pétrole est devenu une arme au cours de ce conflit. Les Arabes, après avoir longtemps subi la loi des grandes compagnies, du cartel, ont dès maintenant pris conscience de leur puissance. La situation s'est renversée en leur faveur, ils peuvent dicter leur loi, faire le marché.”, explique Nabil Ennasri. Il ajoute : “Certains disent que le pétrole, est à l'économie mondiale ce que le sang est au corps humain, donc c'est quelque chose d'absolument décisif et indispensable au bon fonctionnement des économies de marché. Aujourd'hui, vous avez l'Aramco, qui est le mastodonte de l'or noir aujourd'hui au niveau mondial qui est la poule aux oeufs d'or de l'économie saoudienne, c'est l'entreprise numéro 1 en Arabie saoudite qui gère le pétrole et qui l'exporte au niveau mondial et la société la plus importante, la capitalisation boursière la plus importante aujourd'hui dans le monde, devant Apple.” 


Quel est l’enjeu de l’Arabie saoudite ? 


“L'Arabie saoudite est très riche, en matière macro. En termes de PIB par habitant, c'est un pays qui est quand même beaucoup moins richement doté que les autres pays du Golfe, particulièrement le Koweït, le Qatar et les Emirats arabes unis. Tout le monde sait, en Arabie saoudite et ailleurs, que le pétrole n’est pas éternel. La production de pétrole est à une production record aujourd'hui, autour de 10 millions de barils de pétrole par jour, mais ça ne sera pas éternel.“ La moitié de la population saoudienne est âgée de moins de 30 ans. Et pour le pouvoir en place, c'est un enjeu de taille: il faut donner à cette jeunesse des garanties de richesse et d'emploi. 

Des oiseaux victimes d'un pétrolier qui a coulé… en 1980


“L'Arabie saoudite, à la différence des autres pays du Golfe, que sont par exemple les Émirats, le Koweït ou le Qatar, eh bien elle a une population très importante. C'est un pays qui fait quatre fois la France, 2 millions de kilomètres carrés, avec 36 millions d'habitants, avec en 2050 peut-être un doublement, quasiment, de la population intérieure, et donc on a des défis qui sont bien plus colossaux. Le pari est de se dire: aujourd'hui, nous avons une richesse financière considérable tirée des revenus du pétrole, à charge pour nous, parce que gouverner, c'est prévoir, de permettre aux futures générations saoudiennes d'être assises sur une économie qui soit diversifiée et qui ne soit plus dépendante d'hydrocarbures. Donc il faut préparer la société d'après.” Pour préparer la société d'après, l'Arabie saoudite dépense énormément d'argent. Ces investissements ont un but précis: diversifier l'économie saoudienne afin de trouver de nouvelles sources de revenus. Cette stratégie, c'est la “Vision 2030”, un plan de développement qui doit justement permettre de préparer l'après-pétrole. Depuis son lancement en 2016, c'est la priorité du gouvernement saoudien, en particulier du prince héritier, Mohammed ben Salmane. 


Quel est le futur de l’Arabie saoudite ? 


“L'après, c'est tout ce qui concerne l'économie du divertissement, du tourisme, du sport, de faire des mégapoles saoudiennes, particulièrement Riyad, des points de fixation du monde des affaires, de l'immobilier, également de la santé, des télécoms, de l'industrie. Et donc tourner la page de ce pétrole de manière progressive et de rendre le futur "désirable", entre guillemets, pour ces futures générations. C'est aussi pour ça qu'on a des projets futuristes et faramineux, comme la nouvelle cité Neom. Le prince héritier veut en faire un peu le fer de lance, la vitrine de sa nouvelle politique de diversification, avec une ville a priori, en tout cas, c'est ce qu'ils prétendent, zéro carbone, uniquement gérée par des algorithmes. Tout ça doit faire de l'Arabie saoudite la nouvelle force motrice du Moyen-Orient.” Pour développer les secteurs à fort potentiel de croissance, en particulier du tourisme, l'Arabie saoudite mène aussi une véritable campagne marketing. Certaines réformes sociétales visent à renvoyer l'image d'un pays qui change, tout en éludant la question des droits humains. 

En 1973, quand le choc pétrolier entraînait un retour en force du vélo


L'Arabie saoudite a également besoin de capitaux étrangers. Et pour faire venir des capitaux et des investisseurs du monde entier, elle doit changer son image. “L' Arabie saoudite est tributaire de cette image moyenâgeuse, d'un islam médiéval, rigoriste, qu'elle a exportée pendant des années, pour ne pas dire 'des décennies, au niveau international. Et depuis 2015 et l'arrivée au pouvoir du roi Salmane et surtout de son fils, Mohammed ben Salmane, on a une volonté d'effacer cette image rétrograde pour donner une image beaucoup plus reluisante. Ça permet à la fois de redorer son blason, de se faire bien voir des élites occidentales, qui continuent à peser aujourd'hui au niveau international et dans la marche du monde, et puis ça permet de capter des investissements, pas uniquement en termes financiers mais aussi en termes de matière grise”. 


Nabil Ennasri explique qu’aujourd’hui, le pétrole ne suffit plus et est amené à se tarir. Le but de l’Arabie saoudite est donc de trouver une économie qui prendra le relai au pétrole. “On va tirer encore du pétrole, évidemment pendant de nombreuses années, mais tout le bénéfice, on va essayer de le réinjecter à l'intérieur de l'économie saoudienne pour qu'elle puisse prendre son indépendance, son autonomie, ne plus être mono-dépendante, parce que, également, le pétrole, quand bien même il soit présent sur le sous-sol de l'Arabie saoudite, les Saoudiens gardent un mauvais souvenir des années 1980. On a tous l'idée de se dire que l'Arabie saoudite est un pays riche grâce au pétrole, mais parfois, le pétrole, il peut certes titiller les sommets, mais il peut s'effondrer autour de 10 dollars. Et le pari qui est fait, comme celui qui était de Dubaï il y a une trentaine d'années, c'est d'investir énormément au départ pour retirer les retours sur investissement dans un avenir moyen ou long terme. Donc c'est le grand pari, à charge pour les Saoudiens de continuer dans leur démarche pour espérer en récupérer des dividendes.”

Ils veulent empêcher les nouveaux projets de gaz ou pétrole

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