Ce que révèle la vidéo de "l'accusatrice" de Central Park

"Même si la police n'est pas là, elle est dans notre tête." Voilà ce que révèle la vidéo de "l'accusatrice" de Central Park…

Derrière l’incident de Central Park, l’oppression systémique des Noirs aux États-Unis


La vidéo d’une femme blanche appelant la police pour dire qu’un homme noir menaçait sa vie, alors que l’homme en question ne faisait rien, est devenue virale. Mais l’événement est loin d’être un cas isolé dans le pays.


« Être une personne noire aux États-Unis, c'est savoir que le simple fait de vivre ma vie pourrait amener quelqu'un à téléphoner à la police à propos de ma vie. Et qu'ensuite, ces policiers me fassent du mal. Cela crée beaucoup de stress », confie l’écrivain afro-américain Baratunde Thurston. Ce qu’il décrit, c’est ce qui aurait pu se passer pour Christian Cooper, un homme noir menacé par une femme blanche à Central Park le 25 mai.


« Je vais leur dire qu'il y a un Afro-Américain qui menace ma vie »


Cette femme, Amy Cooper (aucun lien de parenté) décide d’appeler la police après que Christian Cooper, ornithologue amateur, lui a demandé de mettre son chien en laisse dans une zone de Central Park où c'est obligatoire. « Il y a un homme afro-américain. Je suis à Central Park. Il est en train de me filmer et de me menacer, ainsi que mon chien », déclare-t-elle au téléphone. « Je vais leur dire qu'il y a un Afro-Américain qui menace ma vie. Je suis menacée par un homme dans le Ramble, s'il vous plaît, envoyez les flics immédiatement », poursuit Amy Cooper.


La scène, filmée avec un smartphone, a été visionnée des millions de fois. Pour éviter ce genre d’agressions, potentiellement mortelles, les Afro-Américains doivent constamment rappeler qu’ils ne sont pas dangereux pour les Blancs, affirme Baratunde Thurston. « Je me retrouve à jouer ce personnage de Ned Flanders dans les Simpson, juste en me promenant dans mon propre quartier pour bien faire comprendre que je ne suis pas une menace. Cela crée une réaction chez beaucoup d'entre nous, qui est de se minimiser et d'être moins que soi-même. Nous nous contrôlons nous-mêmes », constate tristement l’écrivain.


« C'est ce qu'on a enseigné à tous les Américains à travers une longue histoire de mépris pour la vie des Noirs »


Pour lui, ce type de réactions de la part d’une personne blanche s’inscrit dans une longue histoire de diabolisation des Noirs aux États-Unis : « La raison pour laquelle les Blancs se sentent si à l’aise pour demander l'application de la loi sur les Noirs qui n'ont pas enfreint la loi, c'est parce que c'est ce qu'on a toujours appris aux Blancs. C'est ce qu'on a enseigné à tous les Américains à travers une longue histoire de mépris pour la vie des Noirs. »


Baratunde Thurston poursuit : « Il est normalisé que l'on abuse du 911, le système d'appel aux urgences, pour un conflit mineur ou pour le constat d'une violation potentielle du code de la route, comme un barbecue au bord d'un lac. Parce que les conséquences sont très rarement subies de manière mortelle par l'Amérique blanche elle-même. »


« C'est juste un jour comme un autre aux États-Unis »


Lenese Herbert, professeure à la faculté de droit de Howard University et afro-américaine, partage l’analyse de l’écrivain. « Que l’imagination d’Amy Cooper soit si limitée qu'elle ne pouvait concevoir qu'une personne noire à Central Park existe pour profiter de la nature montre la pauvreté et de sa compréhension de la la vie. Malheureusement, cette pauvreté de l'imagination est souvent exprimée envers les non-Blancs, et plus particulièrement les Afro-Américains », affirme l’universitaire.


Le jour même où cette vidéo a été prise, George Floyd, un homme noir américain non armé, est mort étouffé après qu'un policier blanc de Minneapolis l'a immobilisé au sol avec un genou sur le cou. « Voir Ahmaud Arbery, George Floyd, Christian Cooper et Breonna Taylor, les quatre incidents sur une période de trois semaines, tous ayant pour thème l'usage excessif de la force et pour dénominateur commun leur couleur noire, c'est un rappel que cette nation a du travail à faire. C'est juste un jour comme un autre aux États-Unis », désespère Baratunde Thurston.


« Ce n'est pas un problème de Noirs américains, c'est un problème américain »


L'incident de Central Park fait par ailleurs suite à d'autres cas de personnes blanches ayant appelé le 911 pour signaler des Noirs s'adonnant à des activités quotidiennes, comme le montre le hashtag #LivingWhileBlack. « Il s'agit de violations des droits et des libertés des personnes de couleur, en particulier des Afro-Américains, au quotidien et que leurs droits sont violés par ceux qui pensent qu'ils n'ont tout simplement pas le droit d'exister librement », analyse Lenese Herbert.


Après le tollé médiatique suscité par la vidéo, Amy Cooper a été licenciée de son travail. Preuve que les Américains se sont peut-être, cette fois-ci, montrés plus choqués et solidaires qu’à l’accoutumée. « Ce n'est pas un problème de Noirs américains. C'est un problème américain. Et je veux donc que l'Amérique blanche soit aussi offensée que l'Amérique noire. Ne vous contentez pas d'exprimer votre sympathie. Soyez vous-même offensé en tant qu'Américain et en tant qu'être humain », martèle Lenese Herbert.


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