La réalité des Ehpad à l'heure du coronavirus

Les résidents en Ehpad représentent près de la moitié des morts du Covid-19 d’après le ministère de la Santé.

Covid-19 : surmortalité dans les Ehpad


Les résidents en Ehpad représentent près de la moitié des morts du Covid-19 d’après le ministère de la Santé.


« On doit se débrouiller avec nos résidents quand ils sont décédés. On doit « prendre » notre résident – il n’y a plus de toilette mortuaire – et le mettre directement dans un sac, dans une housse mortuaire. On ferme, et on note le nom du résident au marqueur sur le sac. Si on a un lit réfrigéré, on en a trois dans tout l’Ehpad. Si on en n’a pas, on doit mettre le résident en attente que le funérarium vienne. On a eu des fois jusqu’à quatre jours d’attente pour que le funérarium vienne récupérer un résident », témoigne Anissa Amini, aide-soignante en Ehpad et représentante du personnel au syndicat Sud santé.


« On n’arrive plus à dormir la nuit »


Comme elle, les autres employés des Ehpad sont encore plus surmenés que d’habitude depuis le début de l’épidémie de Covid-19. Et pour cause : les résidents en Ehpad représentent près de la moitié des morts du coronavirus d’après le ministère de la Santé. 45 % des maisons de retraite ont signalé au moins un cas dans leur établissement.


« On n’arrive même plus à dormir la nuit. D’habitude, on installe la personne, la famille vient, on met une ambiance dans la chambre. On va présenter nos condoléances à la famille. On pleure avec eux, parfois. Sur une année, on doit avoir une dizaine de décès. Depuis le début du mois de mars, nous en sommes à 23 décès », constate avec effroi Anissa Amini.


« Il aurait vraiment fallu pouvoir ériger les Ehpad en forteresses »


Pascal Meyvaert, membre de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad, déplore qu’on n’ait rien fait en amont pour protéger les plus âgés. « Une fois que le virus est dans l’Ehpad, c’est trop tard. Il aurait vraiment fallu pouvoir ériger les Ehpad en forteresses et tout faire pour éviter que le virus ne rentre. La plupart du temps, on avait une bonne bataille de retard. »


Dans les régions sous tension, l’hospitalisation des résidents n’est pas prioritaire…. voire impossible. C’est le cas en Alsace. « Au début de la crise, les 15 premiers jours ou les trois premières semaines, nous nous sommes retrouvés avec une situation extrêmement complexe. Le problème, ce n’était pas seulement la réanimation. On refusait tout simplement l’hospitalisation, qu’il y ait besoin ou non d’hospitalisation », se souvient Pascal Meyvaert.


« Vous véhiculez le virus dans tout l’établissement »


Les personnels ont donc réalisé bien vite qu’ils ne recevraient aucune aide pour gérer la crise : « Sans les hôpitaux, sans possibilité d’hospitalisation, avec des difficultés en matériel donc souvent sans oxygène, sans médicaments. » L’Ehpad dans lequel travaille Pascal Meyvaert a par ailleurs très vite été confronté à une pénurie de sédatifs. Sans compter le manque de personnel. « Les Ehpad sont déjà en sous-effectif chronique et on s’est retrouvés avec un personnel malade, en arrêt maladie, à un moment où on en avait le plus besoin. »


Manque de masques, absence de tests, pas de communication en interne… Dans de nombreux Ehpad, le personnel a propagé le virus malgré lui. « Quand vous n’avez qu’une sur blouse par poste, et que vous allez d’une chambre à une autre, forcément, vous véhiculez le virus dans tout l’établissement. Les zones contaminées vont contaminer les zones saines », résume Pascal Meyvaert.


« On a eu le sentiment, pendant le démarrage de la crise, qu’on était laissés de côté »


Des entreprises privées sont critiquées pour leur gestion de la crise et leur manque de transparence. Et les aides-soignantes qui s’occupent des résidents au quotidien sont en première ligne : deux d’entre elles sont déjà décédées du Covid-19.


« Je pense qu’on a mis du temps à se préoccuper de la situation qu’il allait y avoir dans les Ehpad, alors qu’on sait qu’on a un public fragile. On a eu le sentiment, pendant le démarrage de la crise, qu’on était laissés de côté alors qu’on avait le public qui risquait d’être le plus touché par la maladie », affirme Ève Guillaume, directrice d’un Ehpad à Saint-Ouen.


« Ils arrêtent de manger, de boire »


« Une de mes collègues, à qui je pense énormément, a eu un décès en nuit. Elle s’est confiée à moi… elle a l’image de cette personne, le regard de cette personne. Elle l’a au quotidien devant elle… Les yeux de la peur. Un regard de peur parce que la résidente savait qu’elle allait partir », décrit Catherine Drui, aide-soignante en Ehpad.


Car en plus du Covid-19, le confinement et l’isolement fragilisent les personnes âgées. « C’est compliqué de pouvoir s’occuper des résidents comme on le fait d’habitude. C’est surtout la présence des soignants qui manquent aux résidents. Concrètement, ils arrêtent de manger, de boire. On est obligés de les faire boire avec des subterfuges, comme de l’eau gélifiée, ou des seringues », poursuit Catherine Drui. Pour lutter contre cet isolement, le ministre de la Santé a annoncé la mise en place d’un droit de visite.


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