Dette de sang en Albanie : c'est quoi le Kanun ?

En Albanie, la dette de sang existe encore. Elle est régie par un code médiéval : le Kanun. Voici ce qu'il implique, et pourquoi de nombreuses personnes vivent enfermées chez elles par peur d'être exécutées…

“J'ai peur d'aller à l'école parce qu'on peut me tuer”

Kanun, c’est l’un des morceaux du rappeur Lacrim dont le clip a été tourné en Albanie. C'est une chanson de rap qui parle de vengeance. Et Lacrim est allé tourner là-bas justement parce que le Kanun, c'est un code civil et pénal qui régit la dette de sang. Dans les montagnes du nord de l'Albanie, la loi du talion règne encore. Ici, pour réparer un crime, le sang doit couler. Selon le code du Kanun, l'homme est responsable de l'honneur et les blessures faites à l'honneur ne peuvent qu'être compensées en blessant à son tour c'est-à-dire en tuant à son tour par vengeance.

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“Il pourrait y avoir une tentative de réconciliation ou un meurtre, mais assurément, la vendetta continuera, c'est la tradition” explique Vuksan Hila qui vit sous la menace d'une vendetta. Le Kanun, c'est très vieux. Ça date du 15e siècle. Et dans ce code, il est écrit noir sur blanc qu'un meurtre doit être vengé par un autre meurtre. La seule contrainte, c'est que la victime ne doit pas être abattue chez elle. C'est pourquoi, aujourd'hui, de nombreuses personnes vivent enfermées à leur domicile.

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Depuis 1990, la vendetta est réapparue de manière plus violente

“Les hommes sont tous cachés ailleurs, parce qu'ils ont peur d'être tués, alors on n'a plus d'argent et plus rien à manger” déclare Xhyhere Bajrami, la soeur d'un triple meurtrier. La dette de sang avait disparu pendant le régime communiste, mais depuis les années 1990, elle est réapparue et de manière plus violente. Aujourd'hui, même les enfants sont victimes de vendettas.

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Dans une région où l'État est presque inexistant, difficile de lutter contre les traditions, comme en témoigne cette femme dont le mari a été assassiné. “Je demande que justice soit faite, et si elle n'est pas à la hauteur, alors je demanderai à mes filles de venger elles-mêmes la mort de leur père” raconte Bukurie Dibra, veuve albanaise et mère de quatre filles.

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Plus de 100 enfants albanais seraient menacés de vendetta

Depuis 1992, cette tradition aurait entraîné la mort de plusieurs milliers de personnes. Liljana Luani est professeure. Elle va de village en village pour donner des cours aux enfants vivant sous la menace d'une vendetta. Elle explique : “J'ai rendu visite à des dizaines d'enfants sous la menace d'une vendetta, mais je ne sais pas combien d'enfants sont dans cette situation en Albanie. Je vis avec leur souffrance, je vis avec leur douleur et celle de leur famille”. Enfermés, non scolarisés ils seraient plusieurs centaines d'enfants à vivre aujourd'hui avec la peur d'être exécutés. “J'avais un élève, il a été tué il y a deux ans. C'était un adolescent. Je n'oublierai jamais cet enfant”.


C'est quoi la loi du Kanun ?

Le Kanun est un code juridique traditionnel qui a longtemps régi la vie des Albanais, influençant profondément la société et la culture du pays. Remontant à des siècles, il a été transmis de génération en génération et a façonné les relations familiales, l'organisation sociale, et même les interactions entre les différentes communautés. Le Kanun incarne un mélange complexe de valeurs telles que la famille, l'honneur, la vengeance et la réconciliation, mais il est également critiqué pour ses aspects rigides et archaïques.


Au cœur du Kanun, on trouve la famille. Le père est le pilier central, exerçant une autorité incontestable sur sa maisonnée. La vie dans un village albanais est fortement imprégnée par ces traditions, où les droits et les devoirs de chaque membre de la famille sont définis par des règles strictes. Les enfants sont élevés dans le respect de ces règles, et les anciens s'attachent à préserver cette sagesse transmise au fil des générations. Le Kanun ne se limite pas à la famille, il s'étend également aux relations entre les habitants d'un village. Il établit des règles pour la gestion des terres, les dettes et les conflits entre familles. L'honneur est d'une importance primordiale, et toute offense à l'honneur d'un individu ou de sa famille est considérée comme une affaire sérieuse qui nécessite vengeance. Cette culture de la vengeance a souvent conduit à des cycles interminables de conflits sanglants.


L'État albanais moderne a tenté d'introduire un système juridique plus uniforme et codifié, ce qui a progressivement éclipsé l'influence du Kanun. Néanmoins, dans certaines régions reculées, il continue de jouer un rôle dans la vie quotidienne des gens, en parallèle avec les lois étatiques. Le Kanun a également été le sujet de critiques sévères, surtout lorsqu'il entre en conflit avec les valeurs et les normes modernes. Certaines pratiques traditionnelles, telles que les mariages forcés ou les meurtres de sang, ont été pointées du doigt pour leur incompatibilité avec les droits de l'homme et la justice moderne. Cela a créé des tensions entre la préservation des traditions et la nécessité de s'adapter à un monde en constante évolution. Cependant, il convient de noter que le Kanun a également inspiré de nombreuses œuvres littéraires, cinématographiques et artistiques. Des films tels que "Kanun" ont exploré l'impact de ce code ancestral sur la vie des Albanais, offrant une réflexion sur leur identité et leur histoire collective.


De nos jours, de nombreux jeunes Albanais sont tiraillés entre la modernité et les traditions de leurs ancêtres. Alors que certaines familles continuent de vivre selon les principes du Kanun, d'autres cherchent à équilibrer les deux mondes en cherchant la réconciliation entre la loi traditionnelle et les droits individuels. Le Kanun en Albanie a ainsi façonné la vie des Albanais pendant des siècles. Bien qu'il ait été une base solide pour la préservation de la culture et des valeurs, il a également été critiqué pour sa rigidité et son impact sur les droits humains. Aujourd'hui, la nation albanaise navigue entre son passé et son avenir, cherchant à trouver un équilibre entre tradition et modernité tout en préservant son identité unique.

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