L'histoire de Malik Oussekine, tué en 1986 par des policiers voltigeurs

"Ils se sont précipités sur Malik. Ils l'ont roué de coups de matraque et de coups de pied." Dans ce hall d'immeuble, Malik Oussekine est décédé, frappé à mort par des policiers. C'était le 6 décembre 1986.

Le 6 décembre 1986, Malik Oussekine était tué par deux CRS


Ce soir-là, en pleine vague de manifestations contre le projet de loi Devaquet, le jeune homme d’origine maghrébine de 22 ans sort de boîte de nuit. Il est pourchassé puis battu à mort.


C’est derrière les portes du 20, rue Monsieur le Prince, à Paris, que Malik Oussekine a été tué le 6 décembre 1986. Il avait 22 ans.


« Ils se sont précipités sur Malik, ils l’ont roué de coups de matraques et de coups de pieds »


La France traverse alors une importante vague de contestations : les étudiants se soulèvent massivement contre une réforme des universités proposée par Alain Devaquet, ministre de l’Enseignement supérieur, et Jacques Chirac, Premier ministre. Malik n’a rien à voir avec ces manifestations. Dans la soirée du 6 décembre 1986, des heurts éclatent entre les manifestants et les forces de l’ordre dans le quartier latin. Malik sort alors de boîte de nuit, au même endroit. Il est pourchassé le long de la rue Monsieur le Prince.


« Le jeune homme a voulu rentrer, donc j’ai ouvert la porte pour le laisser entrer et j’ai fermé la porte aux CRS. Mais ceux-là, malheureusement, avaient mis leurs matraques entre les deux portes, donc je n’ai pas pu les fermer. J’ai résisté pour ne pas qu’ils rentrent, mais ils étaient trois. Il n’y avait pas de discussion possible. Ils se sont précipités sur Malik. Ils l’ont roué de coups de matraques et de coups de pieds », raconte Paul Bayzelon, témoin du meurtre.


« J’ai vu les CRS qui l’ont pris par le revers du col et qui l’ont balancé sur trois mètres »


Ces CRS, ce sont des « voltigeurs motoportés ». Ils ont été mobilisés par le ministre de l’Intérieur Charles Pasqua pour maintenir l’ordre pendant les manifestations. Grâce à leur moto, ils peuvent se faufiler et grimper facilement sur les trottoirs. « L’objectif de l’unité commandée par un officier de police, c’est de surprendre, d’intervenir très vite dans un quartier contrôlé par les casseurs et d’impressionner le plus possible l’adversaire pour le déstabiliser », explique un journal télévisé de l'époque. Ceux qui tuent Malik sont deux : l’un pilote, l’autre armé d’une matraque.


« Je me suis foutu au balcon. Là, j’ai vu un gros groupe de CRS qui descendaient la rue sur les manifestants, qui se sont tirés dans la rue voisine. Puis les CRS sont restés quelques secondes et ont continué à les poursuivre. À ce moment-là, j’ai vu trois CRS sortir de cet immeuble avec un mec qu’ils ont littéralement tabassé de façon extrêmement violente, au nez de tout le monde. À ce moment-là, je suis descendu. J’ai vu les CRS qui l’ont pris par le revers du col et qui l’ont balancé sur trois mètres », relate un habitant de la rue du Prince.


« Il sortait de boîte de nuit, il écoutait du jazz »


« Il sortait de boîte de nuit. Il écoutait du jazz. Il passe par là, il y a deux pauvres types qui lui tombent dessus. Pourquoi Malik ? Il suffit de voir sa tête. C’est un jeune mec tout seul, basané, maghrébin, cheveux noir crépus. C’est super pour deux flics qui sont là pour avoir du résultat. Les voltigeurs, à l’époque, c’est que ça. C’est une équipe faite pour frapper. Pour faire mal. J’irais même plus loin : pour tuer. Pour tuer tout simplement, parce que Malik en est l’exemple », assure Dany Terbere.


« Les CRS sont restés 10 minutes sur place. Tous les étudiants étaient planqués à côté. Ils étaient carrément tapis derrière cette grille, on voyait qu'ils avaient la trouille. Une fois que les CRS sont partis, on ne pensait qu’à aller porter secours au mec. Et on a vu les pompiers complètement affolés au regard de ce qu’il se passait », se souvient un riverain.


Malik écède dans le hall d’immeuble


Quand les secours arrivent sur place, ils transfèrent Malik directement à l’hôpital Cochin. Mais il est trop tard : Malik est décédé dans le hall d’immeuble. « Le médecin régulateur dit ceci au moment des faits : “Cette personne n’est pas victime d’un malaise cardiaque mais a dû recevoir un coup derrière la tête. Je considère cette personne comme cliniquement décédée. Il serait cependant préférable de ne pas communiquer cette information à la foule“ » témoigne quelques jours plus tard Maître Georges Kiejman, avocat de la famille de Malik.


Malik n’a jamais eu aucun souci avec la justice. C’était d’ailleurs un garçon très calme. Il avait fait des études de droit et s’était redirigé vers l’École supérieure des professions immobilières. « Malik, c’était un solitaire, ça n’était pas un gros caractère, mais il savait ce qu’il voulait. C’était un garçon qui avait une famille à laquelle il tenait. C’était un quidam comme un autre. C’est difficile de parler d’une personne qui vivait tout simplement parce que ça lui suffisait. C’était ça Malik, en fait, un garçon tout simple », se rappelle Dany Terbere.


On a découvert qu’il avait fait les démarches nécessaires pour devenir prêtre


Malik était le benjamin de la famille Oussekine. Il avait un rapport fort avec la religion et la spiritualité. Après sa mort, on a découvert qu’il avait fait les démarches nécessaires pour devenir prêtre et qu’il se baladait souvent avec un Nouveau Testament. De lui, on sait aussi qu’il avait une santé fragile. À la naissance, on lui avait diagnostiqué une grave maladie des reins. Il avait passé neuf années de sa jeunesse à l’hôpital, et en 1986, il avait commencé à faire des dialyses.


Aujourd’hui encore, Dany Terbere ne comprend pas ce qui a pu conduire ces deux CRS à tuer son cousin. « Ce qui m’a le plus choqué, c’est quand on est allés chez le médecin… Légiste. J’ai pas pu rentrer. Ma femme est rentrée et quand elle est sortie et qu’elle m’a décrit… ah c’est affreux. On n’a plus envie de faire couler les larmes. C’est vraiment de la révolte. C’est dégeulasse. On comprend pas. On a décidé que ce gosse-là devait mourir. Ça dépasse tout entendement. »


Les deux policiers sont condamnés à deux et cinq ans de prison avec sursis


Après le meurtre de Malik, 30.000 étudiants et lycéens vont manifester en silence. Des fleurs seront déposées rue Monsieur Le Prince. Face à la pression, le ministre Alain Devaquet démissionne et la réforme des universités est abandonnée. Le peloton des voltigeurs motoportés va être immédiatement dissout. Les deux policiers vont quant à eux être condamnés à deux et cinq ans de prison avec sursis. Malik Oussekine, lui, devient un symbole des violences policières. Aujourd’hui, on peut encore voir une plaque d’hommage devant la porte où le jeune homme est décédé. À côté, le slogan ACAB, pour « All Cops Are Bastards ».


Maud Le Rest


Ma liste

list-iconAjouter à ma liste
avatar
Brut.