Penser demain : la vérité selon Gérald Bronner

La science, les médias et les réseaux sociaux… Le rapport à la vérité semble évoluer. Le point de vue du sociologue Gérald Bronner.

Penser demain : la vérité


Le sociologue Gérald Bronner analyse l’effet l’effet Dunning-Kruger – la tendance à surestimer ses compétences dans un domaine – et ses conséquences sur la réception de l’information à l’heure du numérique.


« En tant que scientifique, je ne sais pas ce que c’est que la vérité. Je ne dirais même pas que la science a pour objectif de dévoiler la vérité. En fait, la méthode scientifique, elle consiste tout simplement à utiliser des outils qui vont nous permettre de mettre à distance les grandes limites qui pèsent sur notre rationalité », affirme le sociologue Gérald Bronner. Pour Brut, il décortique la notion de vérité et les biais de confirmation qui la menacent.


Surestimer ses compétences parce qu’on n’est pas assez compétent pour voir l’étendue de son incompétence


Je pense que l’épidémie, telle qu’elle s’est déployée, notamment sur les réseaux sociaux, comme un questionnement, comme un certain nombre d’interrogations, a plutôt perturbé le rapport que nous avons à la vérité. Il faut se méfier de soi-même avant de se méfier de toutes les sources d’information. C’est le premier travail à faire.


Après, il faut être vigilant sur les sources d’information. Le premier travail, par exemple, c’est de se demander : « Qu’est-ce que je sais vraiment sur ce sujet ? » Et vous allez vous apercevoir que souvent, vous surestimez votre compétence ou votre connaissance d’un sujet. C’est ce qu’on appelle l’effet Dunning-Kruger en psychologie : quand vous commencez à vous initier à une question, vous avez tendance, au début, à très largement surestimer vos compétences parce que vous n’êtes pas assez compétent pour voir l’étendue de votre incompétence.


« Nous avons des avis sur le monde qui sont fondés sur des échantillonnages »


Donc premièrement : se méfier de ce qu’on croit savoir. Deuxièmement : se demander pourquoi j’ai envie que ça soit vrai et pourquoi je n’ai pas envie que ça, ça soit vrai. Ça ne veut pas dire que c’est faux ou vrai, mais ça veut dire que probablement, en fonction de mes désirs, je vais aller chercher plutôt tel type d’information et telle source d’information que d’autres.


En mettant ça ne serait-ce que sur papier, on prend déjà un peu de distance avec soi-même. Nous avons des avis sur le monde qui sont fondés sur des échantillonnages, parce nous ne sommes pas partout dans le monde, n’est-ce pas ? Je suis limité physiquement. Par exemple, je vis dans un quartier particulier. Peut-être que dans ce quartier, je vais voir des choses. À partir de ces petits échantillons, je vais avoir tendance à faire des lois générales. Ces lois ne sont pas forcément fausses, mais elles sont souvent fausses.


« Plus la connaissance progresse, plus ce que je sais, en tant que citoyen, par rapport à ce que l’on sait en général, va aller en diminuant »


Plus la connaissance progresse, plus ce que je sais, en tant que citoyen, par rapport à ce que l’on sait en général, va aller en diminuant. C’est paradoxal parce qu’on va bien vers un progrès de la connaissance, mais mon incompétence personnelle va progresser en même temps que la connaissance. Et ça, c’est très important, parce que ça veut dire qu’il faut faire confiance aux autres. Quand je vais chez mon médecin, je dois lui faire confiance parce que, précisément, je suppose que lui a cette part de la connaissance que moi je ne possède pas.


C’est cette croyance, cette confiance-là qui est grippée. Si vous allez voir des médecins généralistes, ils vous diront tous, ou presque, que la plupart de leurs patients viennent avec un pré-diagnostic. Ils ont déjà leur propre idée et ils sont prêts à contester le diagnostic du médecin. Parfois, ils peuvent avoir raison, mais la plupart du temps, il y a une asymétrie de connaissances qui ne leur est pas vraiment favorable. Donc on voit bien que cette méfiance s’est insinuée à peu près partout dans les pores de la société.


« La crédulité, c’est une baisse de la vigilance rationnelle »


J’ai évoqué dans un livre dont c’est le titre la notion de démocratie des crédules. Pour moi, la crédulité, ce n’est pas du tout la bêtise ou le manque d’éducation. On peut être crédule tout en disant la vérité. Je peux dire que dans six mois il va pleuvoir. Il se peut qu’il pleuve, mais au moment où je l’ai dit, ce n’était rien d’autre qu’une croyance. Ce n’était pas une connaissance. Donc la crédulité ne s’oppose même pas forcément à la vérité.


La crédulité, c’est une baisse de la vigilance rationnelle pour traiter les informations. Par exemple, lorsque j’ai envie de croire que quelque chose est vraie, je peux laisser mon croire contaminé par mon désir, prendre mes rêves pour des réalités. C’est une façon de faire baisser sa vigilance rationnelle. Justement, l’histoire de la science a inventé, sur des millénaires, des méthodes qui nous permettent, dans le temps provisoire de la science de maintenir à son maximum cette vigilance rationnelle.


« Les conditions du marché de l’information se liguent pour faire en sorte que nous abandonnions un certain nombre de facilités intellectuelles »


Ce que je démontre dans mon livre La Démocratie des crédules, c’est qu’un certain nombre de conditions, notamment les conditions du marché de l’information, se liguent pour faire en sorte que nous abandonnions un certain nombre de facilités intellectuelles. Le fait d’aller chercher des informations qui vont dans le sens de mes attentes personnelles, ça a toujours existé.


Ce n’est pas notre contemporanéité qui l’invente, mais cependant Internet et la disponibilité de l’information amplifient cet empire du biais de confirmation, parce qu’elle nous donne la possibilité, sur tous les sujets, d’aller chercher n’importe quelle information argumentée qui va nous paraître aller dans le sens de nos attentes. Si vous croyez que la Terre est plate, en quelques clics, vous allez trouver toute une série d’arguments pour aller dans votre sens. Alors qu’auparavant, c’était un peu plus difficile.


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