Pourquoi a-t-on des tics de langage ?

En vrai, du coup, en mode… Nous avons tous des tics de langage. Voilà ce qu'ils disent de nous…

D’où viennent nos tics de langage ?


« Wesh », « vas-y », « alors », « du coup »… La linguiste et dramaturge Julie Neveux décortique les habitudes langagières du moment.


« Frère », « T’as vu », « Tu vois », « Genre », « Wesh », « Vas-y », « Alors », « Du coup », « J’avoue »… Vous avez forcément déjà entendu l’un de ces tics de langage chez une de vos connaissances, ou dans votre propre bouche. D’où viennent-ils ? Réponses de Julie Neveux, linguiste et dramaturge.


Un tic toutes les 12 secondes


Le tic, c'est quelque chose à laquelle je ne réfléchis pas, que je dis malgré moi. Et le jour où mon pote me dit : « T'as vu, t'as dit 10 fois "en mode" », je me dis « merde, je vais arrêter de le dire »… Une étude de l’Université d’Harvard publiée en 2018 affirme qu'un locuteur moyen a cinq tics par minute. C’est-à-dire un toutes les 12 secondes !


Le mot « tic » vient du mot « ticchio » en italien. Au XVIIe siècle, le mot arrive en France. Il désigne d'abord un spasme involontaire du cheval. En fait, le tic, c'est une sorte de rot. C'est le cheval qui rote ! On a tendance à l'oublier, mais le tic, c'est aussi la personne qui a un peu de mal à s’exprimer et qui aimerait dire quelque chose, mais qui cherche.


Ça ressemble à une forme de régurgitation linguistique. C'est un moment où le sens et la syntaxe ne servent un peu à rien. C'est un moment où on utilise un autre mot qui ne va pas apporter d’informations. Le locuteur est en train de discuter avec quelqu'un, il est en train d'essayer d'attirer son attention.


Se réancrer dans la vie réelle, par opposition aux réseaux sociaux


Certains tics apparaissent à certains moments et révèlent quelque chose de notre rapport à la réalité. Depuis trois ans, « en vrai » et « de base » sont super fréquents. Je pense qu’ils montrent notre besoin de nous réaffirmer comme appartenant à la vie réelle, par opposition à la vie virtuelle des réseaux sociaux.


Quand je dis « en vrai », j’ai besoin de rappeler qu’il existe une vie, une réalité qui n'est pas celle des écrans, qui n'est pas celle d'Internet, qui n'est pas celle du fantasme, ou de mon image sublimée grâce aux filtres Instagram. C'est en vrai. C'est dans la vraie vie.


Tout le monde a des tics de langage. Maintenant, c'est vrai qu'ils sont plus ou moins fréquents. Les jeunes ont tendance à en avoir un peu plus à cause du désir de sociabilité, du désir de ressemblance et de mimétisme qu'on trouve dans le tic, qu'on attrape.


Affirmer son identité


Le tic est aussi un vecteur d’agrégation. On va dire « frère » ou « en mode » parce que nos potes le disent et que c'est cool. Il y a un besoin d'inscription dans un groupe socioculturel qui est forcément un peu plus fort à l’adolescence.


Par ailleurs, on affirme peut-être un peu plus son identité avec ces tics. Et puis, il y a de l’humour et de la créativité, tout simplement. Il y a plus d'enthousiasme. Et qui dit plus d'enthousiasme, dit plus d'adverbes intensifs, plus d'expressions du plus haut degré. « C'est mortel », « c'est une tuerie », « je suis en PLS » ou « au BDR ». Dans les années 60, on disait « top ».


La jeunesse est force de renouvellement du langage et le bouscule un peu. J'ai l'impression qu'on est à un moment linguistique assez nouveau. Il y a une telle production de discours - et c’est visible sur les réseaux sociaux - avec une telle amplitude… On constate également une transition d'une forme écrite à une forme orale : « MDR », « BG »…


Trop jugeants, les Français ?


En France, on juge le tic beaucoup plus qu'ailleurs. J'ai eu cette discussion avec des copains belges, et personne ne fait ça en Belgique. Le Français a l'esprit critique, c'est connu. Et puis, on est élevé dans une sorte de mythologie esthétisante du français comme langue pure, une langue qu'il faut préserver. Il y a l'Académie française, tout ça… Du bullshit, donc. Mais cette langue n'est pas plus pure que les autres, elle vit et incorpore des mots : c’est une forme de vie.


Parler de tic de langage, c'est déjà un peu stigmatiser. Alors que finalement, si on est entre copains, à dire tous mille fois « en mode, en vrai, à la base, t'as vu », tout va bien. Et personne ne va conclure qu'il faut se débarrasser de ces tics de langage affreux.


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Brut.