L'écrivain et génie Daniel Tammet décrit sa synesthésie

"Quand j’étais enfant, je me sentais beaucoup comme le nombre 24." Associer une émotion à un chiffre, un mot à une couleur… C'est la synesthésie. L'écrivain Daniel Tammet vit avec au quotidien. Il raconte.

Daniel Tammet, écrivain synesthète


Daniel Tammet présente une synesthésie, un phénomène neurologique qui associe des sens qui ne sont pas habituellement connectés. Il attribue par exemple des couleurs aux mots. Rencontre.


« Le mot “love” a une couleur. Bien sûr qu’il a une couleur. C’est la couleur bleue. Parfois, je regarde un nombre et je me dis : “Le 24, c’est 4 x 6, et le 6 est triste, mais le 4 est timide“. C’est comme quand j’étais enfant. Je me sentais comme le nombre 24, parfois. J’étais à la fois triste parce que je ne m’intégrais pas, j’étais différent des autres gamins, et timide. Donc j’étais un peu comme le nombre 24. » L’écrivain Daniel Tammet, né avec le syndrome de l'autisme savant, est également synesthète, une particularité neurologique associant des sens qui ne sont pas habituellement connectés. Brut l’a rencontré.


« La première fois que j’ai vu la neige tomber, je me disais : « C’est le nombre 89 » »


Depuis notre toute petite enfance, les connections dans le cerveau se développent différemment, de manières inhabituelles, entre les différentes cellules, de sorte que les mots forment des couleurs, les nombres peuvent avoir des formes et des textures, et les sons peuvent parfois avoir des couleurs et des émotions.


La première fois que j’ai vu la neige tomber, j’étais enfant, à Londres. J’ai dit à ma famille : « Ah, regardez, il neige, c’est de la neige. » Mais dans ma tête, je me disais : « C’est le nombre 89, c’est 89. » Je ne sais pas pourquoi je fais ces associations, pourquoi 10 est comme un miroir, je ne saurais vous le dire. C’est quelque chose qui arrive spontanément, dès nos plus jeunes années. Et on n’a aucun contrôle conscient dessus.


« La première fois que je suis allé à New York, je me souviens de m’être senti entouré du chiffre 9 »


Certaines personnes me disent que les mots ont aussi des couleurs pour eux. Parfois, on a les mêmes couleurs, mais très souvent, non. C’est très personnel. La première fois que je suis allé à New York, je me souviens d’avoir regardé les gratte-ciels et de m’être senti entouré du chiffre 9, parce que les neufs sont si grands pour moi. Ils sont comme l’immensité. 


Enfant, je passais beaucoup de temps à jouer avec les nombres premiers parce qu'ils m’aidaient à comprendre comment les nombres marchent. Comment leurs schémas fonctionnent. Et ça me faisait beaucoup de bien de comprendre que les nombres étaient à l’intérieur d’autres nombres, qui étaient à l’intérieur d’autres nombres, qui étaient à l’intérieur d’autres nombres, qui étaient à l’intérieur d’autres nombres… Ça semblait durer éternellement. C’était le début d’une aventure. Avec les mots, c’était pareil. Je pouvais passer des heures sur un dictionnaire à démonter les mots et jouer avec et ça semblait durer éternellement. C’était magique.


« Quand j’écris une phrase, je dois m'assurer que les couleurs vont ensemble »


 
Nabokov, qui a écrit Lolita, était synesthète. Il voyait des mots et choisissait les mots en fonction des couleurs qu’il voyait. Lolita était comme les ailes d’un beau papillon. Il adorait les papillons. Et c’est une expérience similaire pour moi. Les mots sont physiques, tangibles. Ils ont une vie, comme les nombres. Quand j’écris une phrase, je dois peser les mots presque littéralement dans mon esprit, m'assurer que les couleurs vont ensemble, le sentiment, la forme, la texture… Et ce que j’adore dans l’écriture, c’est l’idée que, le temps qu’une personne passe sur un de mes livres, elle devient synesthète aussi. 


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Brut.