Mafia : confessions d’un boss repenti

C'est l'une des organisations criminelles les plus puissantes au monde. En Calabre, dans le sud de l'Italie, la 'Ndrangheta importe la quasi-totalité de la cocaïne consommée en Europe. Pour Brut, notre reporter Raphaël Tresa a pu rencontrer un ancien boss repenti de cette mafia.

Mafia : confessions d'un boss repenti


Notre reporter Raphaël Tresa a rencontré Luigi Bonaventura, ancien boss de la Ndrangheta, une mafia du sud de l'Italie. Aujourd’hui, il peut être assassiné à tout moment.


« Un repenti, ils le tuent le plus discrètement possible. Je dois toujours être aux aguets. Ils peuvent maquiller ça en accident, mais ce qu'ils préfèrent, ce sont les faux suicides. Ils peuvent aussi me descendre en pleine rue. Je suis en vie, mais ils veulent toujours me tuer. » Ce témoignage glaçant, c’est celui de l’Italien Luigi Bonaventura, ancien boss mafieux aujourd’hui repenti. Pour Brut, le reporter Raphaël Tresa a recueilli son histoire.


La Ndrangheta est une mafia née en Calabre, au sud de l'Italie. Cette organisation criminelle est l'une des plus puissantes au monde et importe la quasi-totalité de la cocaïne consommée en Europe. Luigi Bonaventura, ancien boss de cette organisation, a accepté de parler Brut à une condition, que l'entretien ne se fasse pas chez lui. Notre reporter l'a donc rencontré dans une maison isolée à la campagne.


Prologue – La naissance


Aujourd’hui, Luigi Bonaventura est toujours vivant, mais il reste terré chez lui. Une vie ascétique et aux aguets. « J'essaie d'être invisible. Plus personne ne me voit. Personne ne sait où j'habite. Là où je vis, personne ne sait rien sur moi », raconte le criminel.


L’homme naît dans une famille de la Ndrangheta, la lignée Vrenna-Bonaventura. À l’époque, son grand-père déjà est l'un des boss les plus influents de Calabre, et sa famille est impliquée dans une « Faida » (« guerre » en calabrais). Ces guerres s'arrêtent le jour où meurt le dernier individu masculin de la famille adverse.


Chapitre I – Ndrangheta de père en fils


« J'ai eu une enfance traumatisante », assure Luigi Bonaventura. Dès le plus jeune âge, il est confronté à une violence inouïe, à la manière des enfants soldats, selon les rites de sa famille. « Tout petit, on m'amenait dans les abattoirs. On me montrait comment les bêtes étaient tuées. On me faisait boire leur sang, on me faisait manger de la viande crue. On me faisait torturer et tuer ces bêtes. »


Petit garçon, il apprend à manier les armes. « Mon père et mes oncles amenaient des armes à la maison. Ils me disaient de les démonter et de les remonter le plus rapidement possible. C'était un jeu, ça me fascinait. » Puis il apprend à tirer en rase campagne. À la préadolescence, on l’emmène dans des lieux isolés et on lui enseigne le tir des pistolets de tous calibres et de toutes marques. « Il y avait des fusils. Il y avait des automatiques, des mitraillettes… »


Petit à petit, Luigi Bonaventura assimile ces techniques. À ce moment-là, il n’est pas encore conscient qu’il devra s’en servir pour tuer. Quand arrivent ses 16 ans, la Ndrangheta est devenue très puissante. Des années 70 aux années 90 en effet, la spécialité de la Ndrangheta est le kidnapping des riches industriels du nord de l'Italie. Mais un changement de stratégie opère : l'organisation se rend compte des bénéfices qu'elle peut tirer du trafic de drogue. Elle scelle alors une alliance avec les narcos sud-américains.


La Ndrangheta acquiert un pouvoir : celui de distribuer ce qu'elle veut. « Qu'ils soient brésiliens, colombiens, vénézuéliens, boliviens ou mexicains, ils travaillent avec les Ndranghetistes, qui ont des ramifications sur chaque continent », assure l’ancien boss. La Ndrangheta paie, et elle compte très peu de repentis. Pour les narcos, elle est le partenaire idéal. Le chiffre d'affaires du clan 20 atteint alors 50 milliards d'euros. Pour arriver à cette somme, il faudrait additionner le PIB du Paraguay, de la Bosnie et de l'Islande.


« Ça change beaucoup de choses. Ça amène tellement de capitaux. Mais la drogue, amène aussi les guerres et les règlements de compte. Moi, je me suis retrouvé au milieu de ces guerres. C'est devenu Ndrangheta contre Ndrangheta, famille contre famille. »


Chapitre II – Les guerres de Luigi


Dans les années 90, un clan rival menace la famille. La Ndrangheta décide de répliquer. « Quelques mois avant, ils avaient tué l'un des nôtres. Celui qui devait mourir, c'était leur chef. Un type qui s'était auto-proclamé patron de ma ville. Double homicide dans les rues de Crotone. Un autre individu était semble-t-il sur les lieux et aurait aidé à perpétrer ce double homicide. »


Le rôle de Luigi Bonaventura est de faire la sentinelle et de bloquer cet homme s'il tente de s’enfuir. Mais quand le commando passe à l'action, c’est un carnage. Plus tard, il apprendra à tuer sans états d’âme. « Une fois, je me suis retrouvé à tuer quelqu'un. J'ai tout fait à la main. Avec précision, comme une signature. J'avais été entraîné pour ça, j'avais tout en tête. C'était clair, précis. J'étais devenu insensible dans ce genre de situations. Je n'avais plus la notion de la mort. »


Chapitre III – Pour l'amour de Paola


Luigi Bonaventura est alors boss du clan depuis quatre ans. À ce moment-là, il se marie avec une femme étrangère à l’univers mafieux. « Petit à petit, elle m'apprend la joie de vivre. Elle me donne envie de vivre différemment. À la naissance de mes deux enfants, je me dis que je ne peux pas les amener sur cette voie. » Il avoue ses crimes à sa femme, qui lui demande de prendre ses responsabilités.


« Début 2006, je crache le morceau. Je vais voir mon père, je lui dis que je veux prendre mes distances avec cette vie et cette famille. Lui, il ne dit rien. Mais derrière, la famille s'est organisée. Ils ont décidé d'éliminer ce problème. Ça veut dire me buter. »


Chapitre IV – La vendetta du père


Le soir du 18 septembre 2006, son père et ses hommes de main lui tendent un guet-apens. Luigi Bonaventura aperçoit alors son père avec un pistolet. Il sort le sien. « Mon père tire 12, 13 fois dans ma direction. Je réponds à ces coups de feu et je me mets dans une position pour ne pas me faire toucher. Mon père, je voulais le stopper, mais pas le tuer ! Alors j'ai tiré au niveau des pieds, des jambes et je lui ai mis une balle au niveau du flanc. »


Luigi Bonaventura assure n’avoir jamais imaginé un tel un guet-apens. « Il a quand même tiré sur son propre fils… Les tirs étaient clairement dirigés vers moi. Selon la balistique, tous les impacts de balle étaient à hauteur d'homme. » S’il a survécu à cette tentative d’assassinat, c'est grâce à l'entraînement que la mafia inculqué, reconnaît-il. Il décide alors de collaborer avec la justice.


Chapitre V – La mort de Luigi


Nous sommes en février 2007. Le travail avec la justice a commencé. Luigi Bonaventura n’aurait jamais cru en arriver là. « La première fois que j'ai fait une déposition et que j'ai dénoncé, durant les trois années qui ont suivi, je ne voulais qu'une chose : mourir. Je voulais disparaître. »


Au total, il renseigne 14 tribunaux italiens. Ses témoignages font arrêter plus de 500 Ndranghetistes. « J'ai expliqué à la justice tout ce que je savais sur les fonctionnements et sur son organigramme. Ma collaboration a aussi permis de faire condamner pour la première fois à perpétuité l'un des boss les plus importants de la Ndrangheta : Nicolino Grande Aracri. J'ai créé une fissure dans le mur de l'omerta. Plus vulgairement, ça veut dire que je suis un traître. »


Le « traître » Luigi Bonaventura est mort le 17 février 2007. En tout cas sous cette identité. Pour échapper aux tueurs de la Ndrangheta, il a changé de nom une dizaine de fois et déménagé un peu partout en Italie afin de brouiller les pistes. Malgré ces précautions néanmoins, il a échappé à trois tentatives d'assassinat. Mais la mort ne lui fait pas peur. « 1.000 fois j'aurais dû mourir. J'ai une dette à l'égard de la mort. »


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