Duel : faut-il réduire le nombre de loups en France ?

Faut-il réduire la population de loups en France ? Un éleveur ovin et un naturaliste répondent à Brut nature.

Élevage : que faire face aux loups ?


Un éleveur ovin et un naturaliste donnent leurs opinions, radicalement opposées.


Entre 528 et 633 loups seraient présents en France. En 2019, 3.742 attaques ont eu lieu contre 12.451 animaux, en majorité des ovins, selon les chiffres officiels. Pour les éleveurs, la présence de ce prédateur menace directement leur activité, et il faut en réduire le nombre. Mais pour les naturalistes et les défenseurs de la biodiversité, ce n’est pas en tuant les loups qu’on va remédier au problème : il faut, notamment, améliorer les clôtures et les mesures de protection pour les ovins.


Brut a interrogé Claude Fond, éleveur et secrétaire général adjoint de la Fédération nationale ovine, et Pierre Rigaux, naturaliste.


Faut-il réduire le nombre de loups ?


Claude Fond : « Il faut éventuellement le réduire si les loups s'approchent des troupeaux, car cela a des conséquences néfastes pour l'élevage, pour la vie de l'éleveur et pour son revenu. »


Pierre Rigaux : « Il ne faut évidemment pas réduire le nombre de loups en France, Il y en a tout au plus quelques centaines, c’est beaucoup moins qu'en Espagne ou qu'en Italie. L'espèce est menacée en France, elle est classée ‘’vulnérable’’. »


Quels problèmes pose le loup pour les élevages ?


Pierre Rigaux : « Pour un loup, c'est beaucoup plus facile de s'en prendre à une brebis que d'aller courir après un cerf ou un chamois dans la nature. Lorsqu’un loup accède à un troupeau, il se passe, hélas, parfois, un phénomène bien connu biologiquement, qui existe aussi chez les renards qui entrent dans un poulailler. Ça s’appelle le ‘’surplus killin’’, ou ‘’prédation surnuméraire’’. »


« C’est-à-dire qu’Il y a une inadéquation entre le comportement naturel du loup et la proie qui est confinée, qui est domestiquée, qui est incapable de fuir, de se défendre. Les loups peuvent dans ces cas-là tuer plus de brebis qu'ils peuvent en emporter. Ce qui ne se produit quasiment jamais avec des proies sauvages et libres dans la nature. C'est pour ça qu'il faut absolument éviter que les loups ne puissent accéder au troupeau. »


« Et c'est pour ça qu'il y a environ 10.000 ou 12.000 ovins qui sont tués par des loups chaque année. »


Claude Fond : « Ce sont plutôt les conséquences des attaques sur les troupeaux qui ont des impacts négatifs sur l'élevage et sur l’éleveur. Ils sont de trois ordres : technique, économique et social. Technique, parce que chaque fois qu'il y a des prédations, il peut y avoir une mise à néant du travail, notamment génétique, qui est fait depuis des années, voire des générations sur l’élevage. »


« Économique, parce que chaque brebis prédatée, c'est un manque à gagner pour l'élevage. Ça affecte directement son revenu. Sociale et psychologique, puisque ça a des conséquences au niveau de la vie de famille. Ça a bien été remarqué par la Mutuelle sociale agricole, qui a mis en place des aides aux éleveurs prédatés, puisque le conjoint ou les enfants ne comprennent pas que leur père ou leur mère aille garder les brebis toutes les nuits avec un fusil au lieu d’être à la maison. »


Pierre Rigaux : « Les loups représentent, c'est vrai, une difficulté réelle pour les éleveurs, de même que d’autres éléments naturels, comme le relief en montagne ou la neige en hiver. Et la plupart des éleveurs s’adaptent plutôt bien et n’ont que peu ou pas de prédation. Les élevages de moutons déclinent depuis 40 ans, sans rapport avec les loups. Mais là où il y a des loups, ils ne se portent finalement pas trop mal. »


Les solutions actuelles sont-elles suffisantes ?


Claude Fond : « Le Plan national d'action a deux objectifs : la préservation du loup, mais aussi la préservation de l'élevage et du pastoralisme. Et force est de constater que pour le moment, c'est le premier objectif qui est atteint et qu'on a délaissé complètement le pastoralisme et augmenté la pression de prédation sur les élevages. »


Pierre Rigaux : « Les loups ne menacent pas les élevages, mais obligent les éleveurs à s’adapter techniquement. Pour ça, les éleveurs sont très largement aidés par de l'argent public de l'État et de l'Europe, qui leur payent les clôtures de regroupement des moutons, les chiens de protection, les fameux patous, les croquettes de ces chiens, les radios de communication pour les bergers en montagne, la restauration des cabanes d'alpage, et le salaire des bergers. »


« Les bergers qui sont employés par les éleveurs pour s’occuper des moutons, les éleveurs propriétaires des troupeaux, ce salaire-là est pris en charge presque entièrement par de l’argent public. »


« Pour autant, le taux de prédation des loups sur les brebis en France est plus élevé que quasiment dans tous les autres pays d’Europe. Autrement dit, un loup français « tue plus » de brebis qu’un loup allemand, espagnol, italien. Je pense que c'est en grande partie dû au fait que les éleveurs sont très largement déresponsabilisés. »


Claude Fond : « Les mesures de protection, telles qu'elles sont proposées aujourd'hui, sont insuffisantes. Il ne faut pas non plus aller vers une surenchère de mesures de protection. C'est pour cela que nous préconisons un tir de défense simple accordé à tous les éleveurs, quel que soit le degré de prédation et quel que soit le territoire. »


« Ce qui est important pour l'élevage, et pour les éleveurs, c'est la défense de leur troupeau. Les prélèvements sont parfois nécessaires si le loup est en position d'attaque à proximité des troupeaux. Notre objectif, c'est zéro attaque, c'est vraiment une baisse de la prédation au niveau des élevages. »


Pierre Rigaux : « Abattre un loup, ça n'empêche pas du tout d’autres loups de s'en prendre au troupeau quelques jours après, quelques nuits plus tard, des mois ou quelques années après, dès lors que le troupeau n'est pas suffisamment protégé. »


« Les éleveurs qui n'ont que peu, voire pas de prédation sur leur troupeau. Ce ne sont pas ceux qui tirent sur des loups dans tous les sens autour de leur troupeau. Ce sont ceux qui protègent mieux leur troupeau. Cette réponse politique de dire qu’on va autoriser les éleveurs à se défendre ne mène à rien, si ce n'est à plus de conflit. Malgré les loups tués, la prédation continue sur les troupeaux tant que les troupeaux ne sont pas suffisamment protégés. »


« D’autre part, je pense qu’on pourrait baisser le taux de prédation en améliorant la technicité, l'ingénierie des clôtures. Par exemple, les clôtures qui sont subventionnées aux éleveurs sont des clôtures de regroupement des moutons. Elles sont conçues pour empêcher les moutons de partir, pas vraiment pour empêcher les loups d’entrer. »


« Ça ne fonctionne bien que si l'éleveur ne met pas ça en place de façon scolaire, mais de façon motivée, en le combinant à d’autres mesures, comme des chiens de protection, ou en évoluant vraiment ce qu'il se passe sur le terrain… Ce que font beaucoup d’éleveurs, mais une minorité ne le fait pas, et c'est ça qui engendre beaucoup de prédation. »


La cohabitation entre loups et éleveurs est-elle possible ?


Claude Fond : « L'élevage et la prédation sont incompatibles sur les mêmes territoires. Sinon, il n'y aurait pas de départements qui subissent la prédation depuis plus de 25 ans. »


Pierre Rigaux : « Non seulement les éleveurs peuvent cohabiter avec les loups, mais de fait, ils le font. Parce que depuis 25 ans que sont revenus des loups dans le sud-est de la France, les éleveurs ovins s'en sortent très bien. La plupart n'ont pas de problème. »


« Au-delà de l'exploitation des moutons, évidemment que l'on peut vivre avec une poignée d'animaux sauvages qui sont revenus de manière naturelle et spontanée se réinstaller sur un territoire français où autrefois, ils étaient 20 fois plus nombreux. Autrefois, il y avait des milliers de loups. Aujourd'hui, évidemment que l'on peut cohabiter avec ces animaux. »


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