Victime de pédocriminalité, Sébastien Boueilh témoigne

"Je suis la preuve qu’on peut s’en sortir, mais pour ça, il faut parler." Jusqu’à ses 16 ans, Sébastien Boueilh a été violé par le mari de sa cousine. Aujourd’hui avec son association, il intervient auprès de jeunes pour libérer la parole. Dans le livre "Le colosse aux pieds d’argile", il raconte son histoire.

Le rugbyman Sébastien Boueilh a été victime de pédocriminalité


Jusqu’à ses 16 ans, il a été violé par le mari de sa cousine. Dans « Le Colosse aux pieds d’argile », Sébastien Boueilh raconte son histoire.


« Comme toute victime, j’étais dans un sentiment de honte, de culpabilité. J’ai pas parlé la première fois, après j’étais piégé en fait, j’étais pris dans l’engrenage et il a su en profiter. » Jusqu’à ses 16 ans, le rugbyman Sébastien Boueilh a été violé par le mari de sa cousine, un homme surnommé « Cricket ».


Sébastien garde le silence pendant 18 ans. Il décide finalement d’en parler le jour où il découvre l’existence d’une autre victime : Mathieu, son meilleur ami d’enfance. Depuis 2013, avec son association, il intervient auprès de jeunes pour libérer la parole quant à la pédocriminalité. Dans Le Colosse aux pieds d’argile, il raconte son histoire. Brut l’a rencontré.


« J’étais sa chose »


Il avait vraiment la mainmise sur moi. Le jour où j’ai fait ma première fois avec une fille, c’est la première personne à qui je suis allé le dire, pensant qu’il allait me laisser tranquille. Au contraire, ça a eu un effet aggravant, puisqu’il a multiplié ses actes et qu’ils devenaient de plus en plus violents. J’étais sa chose.


Pourquoi j’ai pas parlé avant ? Tout simplement parce que j’avais peur de ne pas être cru, parce qu’il était tellement apprécié de tout le monde, de tout le village, de toute la famille, que j’avais peur qu’on me dise : « Mais ce n’est pas possible que ce type fasse ça, tu dois inventer. »


J’avais mis en place un mécanisme d’auto-destruction. J’étais devenu très violent sur le terrain, et en dehors. Il y avait l’alcool. Quand on sortait, on était sans limites : quand on est victime, on n’est pas borderline, on est jusqu’au-boutistes, donc on buvait jusqu’à ce qu’on tombe par terre, quasiment. Le sexe : on multipliait les conquêtes. L’argent : j’ai dû me faire interdire de casino.


« On nous vole notre personnalité »


J’étais conscient de tout ce que je faisais, vraiment de tout : quand je trompais mes compagnes, quand je me battais, je savais d’où venait le mal, d’où venaient ces envies de faire n’importe quoi. Parce qu’on nous vole notre personnalité, et après ces actes, on a envie de se la réapproprier et d’exister, de se mettre en avant. Il y en a qui vont être introvertis, mais moi au contraire, il fallait que j’existe aux yeux des autres.


La première personne à qui j’en ai parlé, c’est mon ex-femme, Corinne, qui avait voulu inviter Mathieu, la première victime, à mon anniversaire. Ça faisait 10 ans que je ne l’avais pas vu, et il avait dit : « Ok, je viens à l’anniversaire de Sébas, à une condition : c’est que Cricket ne soit pas là. » Elle était étonnée puisqu’il était très apprécié, donc elle lui a dit : « Ah bon ? Pourquoi, qu’est-ce qu’il t’a fait ? » « Bah, il m’a violé. »


« Au départ, je n’étais pas dans l’objectif de porter plainte immédiatement »


Le soir, quand je suis rentré du boulot, elle m’a dit : « Assieds toi, j’ai quelque chose d’important à te dire." On venait de se marier, alors je lui ai dit : « Tu vas pas divorcer, quand même ? », et en fait elle m’a dit : « Non, c’est beaucoup plus grave, je voulais te faire la surprise d’inviter Mathieu à ton anniversaire, il ne vient qu’à une condition : que Cricket ne soit pas là.* » J’étais étonné, je lui dis : « Attends, ça fait 10 ans que je l’ai pas vu, il met ses conditions pour venir à mon anniversaire, il est chié, quoi. » Alors elle m’a dit : « Non, mais en fait, il l’a violé. » Et là, elle a vu que j’étais sans réaction. 


Sur le coup, j’ai rien dit, mais j’ai mes épaules sont tombées, je me suis liquéfié dans le canapé, et je me suis dit : « Je vais quand même pouvoir parler, je ne suis pas seul. » Au départ, quand j’ai parlé, je n’étais pas dans l’objectif de porter plainte immédiatement. Mon anniversaire, j’ai souhaité le fêter avec ma famille, et le lendemain, je les ai convoqués pour leur expliquer ce qui m’était arrivé.


J’ai entendu des réflexions comme : « Tu vas quand même pas porter plainte pour le nom de la famille » ou « T’as attendu 20 ans pour en parler, pourquoi tu parles maintenant ? » Ce qui est arrivé le 29 mai 2013 avec cette incarcération pour 10 ans, cette sentence qui est tombée… Ça été libérateur.


« Il y a des secrets qui doivent être partagés »


J’interviens beaucoup dans le milieu sportif, mais de plus en plus dans l’éducatif, dans les écoles primaires, dans les collèges, les lycées. Le constat est accablant. L’année dernière, avec l’asso, on a fait 300 interventions, et c’est minimum deux victimes d’agression sexuelle qui ont été révélées après ces interventions. Ça représente minimum 600 personnes.


Je suis la preuve qu’on peut s’en sortir, mais pour ça, il faut parler. La honte doit changer de camp : on n’est pas coupables, on est victimes. Il faut parler à un professionnel, il faut parler à un colosse, il faut parler à un psychologue, il faut parler à sa personne de confiance. Si on ne peut pas parler, il faut écrire : ce qui est écrit n’est plus dans l’esprit. 


Si vous avez un copain, ou une copine, qui se scarifie, par exemple, ou qui vous laisse ce secret qui la rend malheureuse, ou malheureux, il ne faut pas avoir peur de le partager. Il y a des secrets qui doivent être partagés, comme les professionnels doivent le faire, il faut partager des secrets pour éviter que ces personnes aillent beaucoup plus loin dans la destruction.


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Brut.