En Afrique, les ressources en santé mentale restent très limitées. On y compte en moyenne seulement 1,4 professionnel de santé mentale pour 100 000 habitants, contre 9,0 dans le reste du monde. Cette rareté se traduit par un taux de fréquentation des structures spécialisées extrêmement bas : 14 visites pour troubles mentaux par an pour 100 000 habitants, contre plus de 1 000 à l’échelle mondiale.
En Côte d’Ivoire, cette situation se retrouve pleinement. Les jeunes athlètes y sont particulièrement vulnérables. Une étude menée en 2024 par des chercheurs de l’Université de Dschang et de l’Institut National de la Jeunesse et des Sports de Yaoundé, auprès de 507 jeunes footballeurs talentueux (dont 171 Ivoiriens) âgés de 10 à 23 ans, révèle des chiffres préoccupants : 72 % souffrent d’anxiété, 82 % de dépression, et un tiers affiche un faible niveau de bien-être.
Face à ce constat, l’Abidjan Basketball Club (ABC), avec le soutien de Yango (https://yango.com/fr_int/), a développé le programme Fighters NextGen. Celui-ci accompagne 30 jeunes basketteuses ivoiriennes (16 à 23 ans) dans un parcours alliant perfectionnement sportif et développement personnel. Entre mai et août 2025, elles ont également animé des camps de basket, formant plus de 400 jeunes filles.

"J’ai appris à avoir un mental d’acier"
À 19 ans, Aïcha Dao est étudiante en licence 3 de communication. Depuis quatre ans, elle ne quitte plus les terrains de basket. La jeune fille découvre ce sport au lycée, en classe de première, "J’ai dit à ma mère que je voulais devenir joueuse de basket pro, depuis, je n’ai pas lâché", confie-t-elle.
C’est grâce à son coach, partenaire de l’ABC que Aïcha entend parler du programme Fighters Next Gen.
Ce programme est composé de plusieurs modules alliant la théorie et la pratique. Les athlètes bénéficient d’accompagnement sportif, d’un suivi nutritionnel et médical, de formation à l’éducation financière et à la santé mentale.
Aujourd’hui membre de Fighters Next Gen pour elle, le sport, la cohésion d’équipe et surtout la prise en compte de la santé mentale lui ont permis de trouver sa voie et de gagner en confiance.
Tournois, entraînements, compétitions face à des équipes plus expérimentées… Les expériences s’accumulent. "Avec les filles, on a appris à être plus soudées, à mieux communiquer sur le terrain", dit-elle.
Mais pour Aïcha, la plus grande découverte se trouve ailleurs : dans l’accompagnement psychologique proposé par le programme.
"J’ai vécu des choses difficiles étant plus jeune, lorsque Eva Amegbo, la consultante en santé mentale et le psychologue Julien Ogbo venaient, j’étais super attentive. Je trouvais ça super bien qu’ils nous parlent de santé mentale, c’est rare". Elle renchérit « Ils étaient à l’écoute et ils nous mettaient en confiance. Eva nous disait aussi qu’il ne fallait pas avoir peur de parler. Grâce à elle, j’ai trouvé le courage de m’exprimer."
Pour Aïcha, ces moments sont devenus "une bouffée d’air" dit-elle.
Elle le répète : "Pour être une femme basketteuse, il faut avoir un mental d’acier, il y aura toujours des gens pour nous rabaisser"

Changer les mentalités par le sport
Pour Eva Amegbo, consultante en santé mentale : "La santé mentale fait partie du jeu . Chaque jour, il faut gérer la pression, cultiver la résilience et le contrôle émotionnel."
Durant les différents camps organisés ces derniers mois, elle et le psychologue Julien Ogbo ont mis en place des groupes de parole pour accompagner les jeunes basketteuses.
L’objectif : apprendre aux jeunes filles à acquérir de la confiance en soi et à se soutenir mutuellement.
"On a démystifié le rôle du psychologue : consulter, ça ne veut pas dire être fou. On apprend aux filles à vraiment prendre en compte leur santé mentale", ajoute-t-elle.
Les jeunes filles doivent lutter contre des préjugés tenaces : "Quand une femme joue bien, on la compare à un homme. Mais quand elle échoue, on lui rappelle sa place à la maison", rapporte Eva.
La consultante en est convaincue : "Les filles ont besoin de parler, c’est ce qui leur permettra de se relever et de réaliser leurs rêves."
Elle explique : "On a mis en place des séances en petits groupes, pour parler des défis communs : confiance en soi, nutrition, gestion de la pression, elles étaient très réceptives ."
Le psychologue Julien Ogbo confie qu’"au début, beaucoup ne comprenaient pas ce qu’était la santé mentale ni le métier de psychologue, mais la deuxième rencontre fut plus facile quand elles en ont saisi le sens. Elles se sont confiées librement à nous, sans tabou."
Julien Ogbo met en avant l’importance d’élargir ce travail à d’autres disciplines sportives, car "c’est pas que le basket tous les milieux se ressemblent". L’esprit sportif repose sur un idéal commun : se surpasser, gagner des matchs. "Que ce soit au basket, au football ou ailleurs, gagner physiquement est important, mais c’est le mental qui fait toute la différence". Il rappelle aussi la nécessité d’enseigner aux jeunes sportives à apprendre à perdre, car "l’échec forge le moral et participe à la construction identitaire".

"En visant la lune, on peut atteindre les étoiles"
Pour Yango, partenaire du projet, l’enjeu dépasse largement le terrain. "Yango est une entreprise qui se veut citoyenne, on veut s’impliquer dans l’environnement dans lequel on opère", explique Kadotien Soro, directeur pays de Yango en Côte d’Ivoire et directeur régional Afrique francophone. "Ce programme résonne avec nos valeurs : encourager les talents, aider les jeunes à réaliser leur plein potentiel, et surtout, miser sur l’égalité des chances."
Yango soutient Fighters NextGen, en apportant un appui financier et logistique. Mais l’entreprise veut aller plus loin. "On espère renouveler et étendre ce partenariat, et pourquoi pas l’ouvrir à d’autres disciplines sportives", souligne Kadotien Soro.
Il renchérit "dans le futur si certaines joueuses atteignent l’Afrobasket ou décrochent des bourses pour étudier à l’étranger, l’objectif sera atteint. Mais même sans carrière professionnelle, le projet doit leur permettre de s’épanouir ailleurs. En visant la lune, on peut atteindre les étoiles".
Le choix du sport féminin n’est pas un hasard. Yango veut être pionnier. "Jusqu’ici, peu d’entreprises osent investir dans ce domaine. Pour nous, c’était naturel : l’égalité des genres fait partie de nos convictions", insiste le directeur.
Pour Kadotien, Fighters NextGen "c’est un état d’esprit. L’idée est de montrer que la performance ne peut se construire sans équilibre mental. Le programme a ouvert un espace de dialogue autour du bien-être psychologique des athlètes. Parce qu’on ne peut pas être prêt sur le terrain si on n’est pas prêt dans sa tête".
Et les symboles comptent, lors de l’Afrobasket féminin, des tribunes entières étaient occupées par des hommes venus soutenir les joueuses. Une image forte, qui marque un tournant culturel dans la manière d’aborder le sport féminin en Côte d’Ivoire.
Fighters NextGen n’en est qu’à ses débuts, mais son ambition est claire : bâtir une génération de basketteuses mieux préparées, plus fortes et, surtout plus conscientes de leur potentiel.
Pour Aïcha Dao, les effets du programme se font déjà sentir : "Grâce à Fighters NextGen, j’ai appris la confiance. J’ai appris que ma voix compte. Et surtout, qu’il faut être forte dans sa tête pour être forte sur le terrain."