“996”. Cette combinaison de chiffres est partout, de Linkedin à Twitter, et fait beaucoup parler. Les sondages en ligne se multiplient - “êtes-vous pour ou contre le 996 ?” - et chacun en va de son avis argumenté.
Ces trois chiffres font référence aux horaires de travail - de 9 h à 21 h, six jours par semaine - de plus en plus répandus dans la Silicon Valley. Depuis quelques temps règne dans ce berceau de l’innovation technologique la compétition autour de l’intelligence artificielle. Le “996” y est vu comme un moyen de progresser et de tenir la cadence.
Dans un article, le San Francisco Standard parle même du retour de la culture “GrindCore”. “Grind” signifiant à la fois “boulot pénible, éreintant” et “broyer”.
Origine chinoise
Le “996” trouve son origine dans le milieu technologique chinois, réputé pour son rythme effréné. En 2021, une haute cour du pays avait même interdit aux employeurs d'obliger leurs employés à travailler 72 heures par semaine.
En Californie, les appels lancés par des investisseurs de renom aux entreprises locales pour qu'elles suivent l'exemple de la Chine étaient jusque-là restés lettre morte. Les entreprises de la Silicon Valley prenaient même la direction opposée, offrant des avantages confortables tels que des congés payés illimités, des vendredis d'été et des options de travail à distance.
Aujourd'hui, le “996” semble s’imposer à San Francisco comme une routine de travail et un symbole de statut social.
Travail le week-end
Ramp, une start-up spécialisée dans les opérations financières, a indiqué dans un article de blog publié ce mois-ci qu'elle avait observé une augmentation des transactions par carte de crédit d'entreprise à San Francisco le samedi, par rapport aux années précédentes. Ce qui, selon elle, signifie que les gens travaillent davantage le week-end.
Certaines entreprises mentionnent dans leurs offres d'emploi qu'elles attendent de leurs employés qu'ils travaillent plus de 70 heures par semaine.
Chez Mercor, une start-up basée à San Francisco évaluée à 2 milliards de dollars qui aide OpenAI et d'autres développeurs d'IA à trouver des prestataires pour former de nouveaux modèles, les offres d'emploi précisent que les employés travaillent six jours par semaine, avec la possibilité de travailler à distance uniquement le samedi.
La situation est similaire chez Cognition, une start-up qui développe un ingénieur logiciel IA appelé Devin. Les employés dépassent généralement les 72 heures de travail hebdomadaires prévues par le modèle 996 dans le manoir d'Atherton de la start-up, qui sert également de logement à certains membres du personnel.
"Performance extrême"
"Cognition a une culture de la performance extrême, et nous le disons clairement lors du recrutement afin qu'il n'y ait pas de surprises par la suite", a expliqué le PDG Scott Wu sur X. "Nous sommes régulièrement au bureau pendant le week-end et nous faisons certains de nos meilleurs travaux tard dans la nuit."
Bien que ce terme soit relativement nouveau dans la Silicon Valley, le 996 est une "version survitaminée d'un phénomène qui existe depuis un certain temps dans le secteur technologique", explique au New-York Times Margaret O'Mara, historienne à l'université de Washington.
Elle note que depuis les années 1960, lorsque les entreprises de semi-conducteurs se livraient une concurrence féroce, de nombreuses entreprises technologiques ont adopté une culture du travail intense et exigeante en termes d'heures, affichant une attitude "décontractée californienne" à l'extérieur et une attitude "workaholic à l'ancienne" à l'intérieur.
Communication sur les réseaux
L'idée que les travailleurs du secteur technologique abordent leur travail avec un dévouement intense, parfois presque religieux, fait "partie de l'ADN de la culture de la Silicon Valley", explique également Carolyn Chen, sociologue à l'université de Californie à Berkeley, au quotidien américain. Elle note également qu'une certaine "culture masculine héroïque" dans le secteur technologique renforce l'idée que les gens devraient travailler tout le temps.
Les demandes “extrêmement exigeantes” du milliardaire Elon Musk à l'égard de ses employés ne sont plus en décalage avec le reste du secteur. La Silicon Valley entre dans l'ère de la "technologie dure" estime le San Francisco Standard.
Pour autant, certains observateurs soulignent l’aspect communicationnel de cette tendance. Les messages affirmant sur les réseaux sociaux que l’on travaille 12h par jour sont une façon de “montrer que l'on prend son travail au sérieux”, souligne le journal californien.
“Le ‘996’, ce n'est pas seulement de longues heures de travail, c'est aussi exclure les femmes des postes de direction dans le secteur technologique”, s’inquiète de son côté Ligia Galvao, une employée de la tech sur Linkedin.
“De nombreuses femmes se retirent d'elles-mêmes ou sont poussées vers la sortie parce que leur emploi est tout simplement incompatible avec leurs responsabilités familiales”, souligne-t-elle.