Après la mort en direct d'un streamer, la régulation de la plateforme Kick en question

Crédit : Kick
Le décès lundi en direct du streamer Jean Pormanove, au centre de vidéos le montrant se faire tabasser ou humilier sur la plateforme Kick, soulève de nombreuses questions sur les moyens mis en oeuvre contre ces dérives.
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Que reproche-t-on à Kick ?

Réputée pour ses règles de modération plus relâchées, la plateforme australienne Kick, peu connue en France, est devenue le refuge d'influenceurs controversés comme Marvel Fitness, condamné pour harcèlement moral en 2021, et de streamers bannis de son concurrent Twitch. 

Strangulations, gifles et jets de peintures, les agissements des membres de la chaîne Jeanpormanove font l'objet depuis la parution en décembre d'un article de Mediapart d'une enquête pour "violences volontaires en réunion sur personnes vulnérables" et "provocation à la violence envers une ou des personnes à raison de leur handicap". 

La Ligue des droits de l'homme (LDH) avait de son côté saisi en février le gendarme français du numérique, l'Arcom, dénonçant "une atteinte à la dignité humaine". 

"Nous n'avons pas eu de réponse", regrette Nathalie Tehio, présidente de la LDH, déplorant le "manque de moyens" du régulateur. Selon elle, la ministre déléguée chargée du Numérique, Clara Chappaz, aurait dû saisir l'Arcom à l'époque, ce qui aurait eu davantage "de poids". 

"Le ministère n'a pas directement saisi l'Arcom en décembre, la justice ayant déjà débuté son enquête", a indiqué sur ce point le cabinet de Mme Chappaz.

Après la mort de M. Pormanove, Clara Chappaz a saisi l'Arcom et effectué un signalement sur Pharos, le service de lutte contre la violence en ligne. Une autopsie doit avoir lieu jeudi dans le cadre d'une nouvelle enquête de police pour rechercher les causes du décès.

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Qui régule cette plateforme ?

Même si son siège est en Australie, la plateforme Kick est soumise au règlement européen sur les services numériques (DSA) à partir du moment où elle cible les utilisateurs européens, rappelle Alexandre Archambault, avocat spécialiste du numérique. 

En cas de "signalement circonstancié" sur des contenus problématiques, "elles ont l'obligation d'agir", poursuit-il, sans pour autant être responsable des contenus diffusés par des milliers de personnes. 

En France, une loi de 2004 impose aux plateformes ou à un hébergeur d'agir et de retirer un contenu "manifestement illicite", ajoute Me Archambault. 

L'Arcom peut aussi demander à la justice le blocage d'un site mais pas l'ordonner, souligne encore l'avocat. Elle peut aussi saisir la Commission européenne.

Il y a plusieurs mois, elle avait contacté ses homologues allemands à la recherche du représentant légal de Kick.com. Elle a aussi affirmé mardi s'être "rapproché de l'Office anticybercriminalité (OFAC) afin de vérifier si celui-ci a, par le passé, demandé le retrait de contenus sur Kick.com". 

Ce mercredi, elle été informée par la Commission européenne de la désignation d'un représentant légal de la plateforme australienne à Malte, selon un communiqué, et s'est empressée de le contacter, ainsi que le régulateur maltais "chargé de fait de la supervision des obligations de la plateforme".

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Pourquoi le dossier est-il complexe ?

Pour compliquer le dossier, Jean Pormanove et un autre streamer n'ont eux-mêmes jamais porté plainte, remarque Me Archambault.

En janvier, lorsqu'ils ont été entendus par la justice, ils ont "contesté fermement être victimes de violences" , a indiqué mercredi le parquet de Nice dans un communiqué.

Ils avaient même assuré qu'il s'agissait de "mises en scène visant à +faire le buzz+ pour gagner de l'argent", "n'avoir jamais été blessés" et "être totalement libres de leurs mouvements et de leurs décisions", selon ce communiqué. 

Or, "les violences volontaires sur personnes majeures ne relèvent pas du +manifestement illicite+", qui forcerait une plateforme à retirer un contenu, selon Me Archambault. 

Reste que le parquet aurait pu, à titre conservatoire, demander à ce que la chaîne, qui avait été suspendue une première fois par Kick quelques jours en décembre 2024, reste suspendue, pointe-t-il.

"Quand l'enquête de Mediapart a été faite, la balle était dans le camp de la police, de la justice et du gouvernement. Et rien n'a été fait", dénonce Bastien Le Querrec, juriste à la Quadrature du Net.

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