"La cour ! Levez-vous". Chaque jour depuis le 8 septembre, l'audience de la cour d'assises du Doubs s'ouvre par le même rituel. Dans la salle historique de l'ancien Parlement de Franche-Comté, édifié au XVIe siècle, le public s'exécute à l'unisson, sous les peintures et boiseries figurant "La vérité, la justice et l'innocence".
Le verdict tombera le 19 décembre pour le médecin, qui clame son innocence mais encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour l'empoisonnement de 30 patients, dont 12 sont morts, dans deux cliniques privées de Besançon entre 2008 et 2017.
Les places sont prisées et les bancs du public ne désemplissent pas. Mais les voix baissent d'un ton lorsque le Dr Péchier traverse l'allée centrale pour gagner sa place, à droite de la présidente.
Grand et massif, barbe poivre et sel, l'accusé de 53 ans n'arrive pas menotté dans le box: il comparaît libre. Malgré les demandes réitérées du parquet pendant huit ans d'instruction, le juge des libertés et de la détention n'a jamais prononcé son incarcération, se contentant de le placer sous contrôle judiciaire. Un argument en faveur de son innocence, selon la défense.
"C'est atroce"
"Un matin, je suis arrivée, il pleuvait. Il fumait sa cigarette là, à l'abri, dans la ligne d'entrée des parties civiles", confie Amandine Iehlen. Son père, décédé en 2008, est la première victime parmi les 30 dont est accusé le Dr Péchier. "C'est atroce d'arriver le matin et puis de tomber sur lui", glisse celle qui préside une association de victimes, Avapolvi.
Certes, "il y a la présomption d'innocence, mais il est quand même accusé", relève Amandine Iehlen, "énervée" et "choquée" de cette promiscuité. "Impassible à nos témoignages, à notre détresse" pendant l'audience, "il se mêle à nous" en dehors, regrette-t-elle. "On a vraiment l'impression qu'il ne prend pas du tout en considération le niveau de notre douleur".
Hors de la salle, Frédéric Péchier discute uniquement avec sa famille, qui le soutient avec force, et son avocat.
Il est "très cloisonné psychologiquement" et "ne fait pas du tout attention à l'environnement extérieur", constate son défenseur, Randall Schwerdorffer. "Il est concentré sur son procès, même au milieu des personnes, que ce soit du public ou des parties civiles".
"C'est exceptionnel qu'un accusé, dans de telles conditions, soit libre", reconnaît-il, alors que "dans n'importe quelle affaire d'homicide l'accusé comparaît, bien évidemment, détenu".
Devant la cour comme à l'extérieur, Frédéric Péchier reste impassible. "Je me sens hors de cause", a-t-il répondu mardi à l'avocate générale Thérèse Brunisso.
"Ambiance particulière"
Malgré sa durée de trois mois et demi et ses longs débats techniques, l'engouement pour le procès ne se dément pas. Certains jours, une file d'attente de plusieurs dizaines de mètres s'étire devant le palais de justice.
"C'est un procès exceptionnel, ça mérite de rester deux heures pour une place. On ne connaîtra pas d'autres affaires comme ça!", estime Pascal Dobez, un habitant de la périphérie bisontine venu avec son épouse Valérie.
Le couple aime "cette ambiance particulière": "on discute avec les gens dans la file. On fait des connaissances. On parle de l'affaire", explique l'agent hospitalier de 58 ans.
De nombreux salariés des cliniques ou de l'hôpital de Besançon assistent aux débats. Des étudiants en droit ou en médecine, des passionnés d'affaires judiciaires ou de simples curieux complètent les rangs.
Apprenant la publicité des débats grâce aux médias, Marie-Pierre, qui ne souhaite pas donner son nom, a "saisi l'occasion" de venir voir le procès avec une amie.
"C'est intéressant de comprendre à la fois le système judiciaire et la personnalité d'une personne accusée", estime-t-elle. "Il y a un côté déroutant, on se pose des questions. On entend le pour, le contre", et au final, "la justice décidera".








