Cold cases : qu’est-ce que la généalogie génétique, cette pratique interdite en France, que Gérald Darmanin veut autoriser ?

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La généalogie génétique est une technique d'enquête qui croise ADN et arbres généalogiques. Pour l'instant interdite en France, elle est très populaire aux Etats-Unis où elle a déjà permis de résoudre plusieurs affaires criminelles.
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Lors d'une visite lundi matin au pôle dédié aux affaires non élucidées, au tribunal judiciaire de Nanterre, Gérald Darmanin a annoncé qu'il proposera, dans le cadre d'une loi en janvier, l'autorisation de la généalogie génétique par les magistrats.

"Aujourd'hui, il y a une trentaine d'affaires au pôle cold case qui trouveraient une réponse si nous acceptons la généalogie génétique", a déclaré le Garde des Sceaux à la presse.

Qu'est-ce que c'est ?

La généalogie génétique utilise les données génétiques pour établir des liens de parenté entre individus.

Dans le cadre judiciaire, cela consiste à exploiter l’ADN retrouvé sur une scène de crime, non pas pour remonter directement jusqu’à l’auteur des faits, mais jusqu’à des personnes qui lui sont apparentées.

Que dit la loi française ?

La loi française, à travers le Code civil et les lois de bioéthique, n’autorise les tests ADN qu’à des fins médicales ou judiciaires. Aucun cadre légal ne prévoit leur usage pour la généalogie. Réaliser un test à des fins “récréatives” est passible d’une amende de 3750 euros.

Dans le cadre des enquêtes, les policiers français ne peuvent donc pas consulter directement ces bases et doivent passer par les autorités américaines - la pratique est légale aux Etats-Unis -avec une demande d'entraide internationale.

Cela leur permet de comparer la trace génétique inconnue avec les bases de données américaines, notamment les millions d'ADN cédés volontairement à des sites proposant des tests généalogiques récréatifs par des personnes curieuses de leurs origines.

Quels sont les exemples de cette pratique ?

Cette technique a connu son premier grand succès lors de l'arrestation en Californie de Joseph James DeAngelo en 2018, "le tueur du Golden State", auteur de douze assassinats dans les années 1970 et 1980. Le chef de l'OCRVP, Franck Dannerolle, estime même qu'elle permet de résoudre "un cold case par semaine" aux Etats-Unis.

Fin 2022, Bruno L., surnommé le "prédateur des bois" pour avoir enlevé, emmené dans la forêt et violé cinq adolescentes entre 1998 et 2008, a été arrêté grâce à cette technique avec l'appui du FBI, une première en France.

Qu'est-ce qui va changer ?

Selon l’association DNA Pass, spécialisée dans la génétique et les tests ADN, entre 100 000 et 200 000 Français réaliseraient chaque année ces tests ADN "récréatifs".

Mais à ce jour, la justice française reste dépendante de la bonne coopération des autorités américaines, très sollicitées, notamment par la Suède ou l'Allemagne.

Autoriser la généalogie génétique permettrait d'élucider certaines affaires, notamment des cold cases, lorsque l'ADN d'un criminel a été retrouvé mais n'est pas dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). 

L'utilisation de la généalogie génétique sera "strictement encadrée par la loi", a précisé le ministère dans un communiqué plus tôt dans la journée, "réservée aux crimes les plus graves (meurtres, viols, enlèvements) et décidée sous le contrôle du juge".

Le garde des Sceaux a par ailleurs rappelé que "plus de 50 000 traces au Fnaeg (fichier national des empreintes génétiques, NDLR) (...) ne trouvent pas d'auteur parce que nous ne connaissons pas les ADN des personnes".

En attendant, les scientifiques de la police et de la gendarmerie se préparent, vont aux Etats-Unis se former et disposent déjà de séquenceurs ADN compatibles avec la généalogie génétique.

Quels sont les risques ?

La pratique ne fait pas consensus.

La Commission nationale informatique et liberté (Cnil) a pointé l'an dernier le "peu de garanties" sur la sécurité des données et leur risque de "compromission". 

23andMe, un acteur majeur du marché des tests génétiques, a notamment subi un piratage qui a affecté les données de millions de clients. Cette société américaine a déposé le bilan fin mars et cherche un repreneur.

Certains s'inquiètent du devenir des données des utilisateurs, mais ceux qui défendent l'accès aux tests voient l'opportunité de créer un acteur européen dans le secteur.

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