Des faussaires de génie condamnés pour des meubles XVIIIe acquis par Versailles

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Leurs faux meubles royaux du XVIIIe étaient si parfaits qu'ils ont leurré tout le marché de l'art: le tribunal correctionnel de Pontoise a condamné mercredi deux figures du monde feutré des antiquités qui, entre "jeu" et "appât du gain", ont dupé jusqu'au château de Versailles.
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Six personnes, au premier rang desquelles l'expert référence du mobilier royal du XVIIIe et un menuisier-ornemaniste de réputation internationale, ainsi qu'une prestigieuse galerie d'antiquaires ont comparu au début du printemps dans le Val-d'Oise en lien avec un trafic de fausses chaises d'époque entre 2008 et 2015, un scandale qui a secoué le microcosme des antiquaires et du patrimoine.

Dandy haut en couleurs, costume trois-pièces et cheveux longs, l'expert Bill Pallot a été reconnu coupable d'avoir organisé la fabrication et la vente de fausses chaises rarissimes comme des chaises du Barry, une bergère Sené, des fauteuils Jacob pour Marie-Antoinette ou des chaises du cabinet de la Méridienne à Versailles.

La justice a condamné cet ancien professeur à la Sorbonne à quatre ans d'emprisonnement dont quatre mois ferme, 200.000 euros d'amende et une interdiction pendant cinq ans d'exercer la fonction d'expert dans quelque domaine qu'il soit. 

"On s'est dit qu'on allait faire ça par jeu, pour voir si le marché de l'art voyait ou voyait pas (...). C'est passé comme une lettre à la poste", s'était-il délecté à la barre lors du procès, ne se faisant pas prier pour disserter devant les juges sur l'art et la passion nécessaires à la fabrication d'un bon faux.

Duper Versailles et milliardaires

Le tribunal a également condamné à trois ans de prison dont quatre mois ferme et 100.000 euros d'amende son acolyte Bruno Desnoues, menuisier réputé du faubourg Saint-Antoine, quartier historique du travail du bois à Paris, qui a fabriqué les meubles à partir de carcasses d'époque.

À l'audience, ce meilleur ouvrier de France s'était efforcé de se présenter en humble artisan désintéressé par l'argent et seulement motivé par l'amour de son art, "le plaisir de travailler, de faire des belles choses".

"Quand je suis arrivé il y quarante ans dans le faubourg Saint-Antoine, c'était des copies, des copies, des copies. Ce genre de chaises, on en faisait toute la journée", avait expliqué le maître menuisier de 69 ans.

Le duo a empoché près de 1,2 million d'euros de commissions. Les galeries et maisons d'enchères bien davantage encore, qui ont vendu en ignorance de cause, mais avec des marges mirifiques, ces meubles au château de Versailles ou à des milliardaires.

Accusée d'avoir procédé à des vérifications insuffisantes, la prestigieuse galerie d'antiquaires Kraemer a été relaxée. Le parquet avait requis à son encontre une amende de 700.000 euros.

Près de la moitié des faux de Pallot et Desnoues ont été acquis via divers canaux par le château de Versailles, engagé depuis les années 1950 à rééquiper le monument vidé de son précieux mobilier par la Révolution française.

"Manoeuvres diaboliques"

Longue de huit ans, l'information judiciaire avait abouti à un non-lieu pour la plupart des intermédiaires entre les faussaires et les acheteurs finaux, estimant qu'ils avaient été dupés par la renommée de Bill Pallot. Un choix qui avait mené les avocats de la galerie Kraemer à fustiger une "incohérence" de traitement.

La supercherie n'a été découverte que par accident, à l'occasion d'une enquête sur les revenus d'un couple de Portugais résidant dans le Val-d'Oise et qui blanchissait l'argent de M. Desnoues.

Le tribunal a acté le partage de la responsabilité des intérêts civils entre M. Pallot, M. Desnoues, et le château.

Dénonçant "les manœuvres particulièrement diaboliques" des deux principaux prévenus, l'avocate du château de Versailles Me Corinne Hershkovitch a déploré "un trafic aux mains propres, en col blanc", pour lequel "quand on est pris la main dans le sac, on n'est pas condamné à très cher". 

"On se dit qu'on n'est pas protégé pour l'avenir", a-t-elle ajouté. 

Bill Pallot a considéré le jugement "financièrement un peu dur", même s'il se satisfait que son appartement ne soit pas saisi, contre l'avis du procureur, et est soulagé de ne pas retourner en prison, ayant déjà passé quatre mois en détention provisoire en 2016. 

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