Lanceur d'alerte ou "délateur"? Le "binôme" de l'ex-policier accusé de pédocriminalité témoigne à son procès

Crédit : Stephane / Adobe Stock
Le "binôme" de l’ex-policier de la brigade des mineurs de Marseille jugé pour le viol de deux enfants des rues de Manille a détaillé mardi comment il est parvenu à "débusquer un pédophile infiltré dans le service", malgré les bâtons dans les roues mis par sa hiérarchie.
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Christophe Annunziata et l'accusé Julien Palisca sont arrivés tous les deux à l'automne 2018 à la brigade des mineurs marseillaise. Ils partagent le même bureau et très vite de l'amitié, jusqu'à être surnommés Tic et Tac.

À la barre, Christophe Annunziata raconte comment ses doutes sur la pédophilie de son collègue sont devenus une certitude. Une photo ambiguë postée sur le groupe WhatsApp de la brigade représentant un enfant philippin brandissant un dessin censé représenter un paysage de montagne mais à bien y regarder, celui du corps d'une femme allongée les jambes écartées. Ce post sur Facebook de photos sur des lieux naturistes, la profusion de clichés d'enfants philippins dans son bureau.

Sa cheffe de groupe balaie les doutes: "Il fait bien ce qu'il veut dans le privé".

L'élément déclencheur, ce sont des SMS tendancieux envoyés par Julien Palisca à un garçon de 17 ans, victime de viol qu'il doit entendre pour une enquête. Les messages écrits "en mode ado" sont tardifs et alertent la directrice du foyer où est hébergé le jeune.

"Il se peut que de temps en temps, on sorte légèrement du cadre administratif", a tempéré à la barre des témoins Marc Rolland, chef de la brigade des mineurs. Mais M. Annunziata presse son supérieur de saisir l'IGPN car "si le loup est dans la bergerie, ça craint". Mais la hiérarchie temporise, "on ne va pas le clouer au pilori", aurait dit la numéro 3 de la brigade.

Lundi, les enquêteurs de l'IGPN qui ont confondu Christophe Palisca avaient dénoncé au premier jour du procès "une inertie très condamnable de sa hiérarchie".

Un ex-policier de la brigade des mineurs de Marseille jugé pour viol d'enfants

Manque de courage

Christophe Annunziata explique que, face au "manque de courage de certains", il s'est décidé à "aller au devant des soucis, rentrer dans la lessiveuse". Il couche en procès-verbal la déposition de l'éducatrice du mineur victime de viol qui parle du comportement "louche" de Julien Palisca. Le policier affirme que sa supérieure lui a demandé de supprimer le mot "louche, qui fait pédophile".

Christophe Palisca est mis au courant de ce que fait son collègue dans la procédure. M. Annunziata le voit "gonfler en assurance car il est soutenu, intouchable". "Je vais aller effacer mon cloud", lui glisse-t-il, provoquant.

En mars 2021, au cours d'une réunion de son groupe d'enquête, Christophe Annunziata provoque "un coup d'éclat", contraignant la hiérarchie à expliquer ce qui se passe.

La brigade  se scinde en deux. "C'est comme dans une famille, quand il y a un viol incestueux, certains sont dans le déni. A la brigade, c'est le même fonctionnement", explique Christophe Annunziata à la cour. Il récolte un avertissement.

"J'ai perdu tout ce que j'avais"

Même après la découverte chez Julien Palisca de milliers de fichiers pédopornographiques, sa cheffe de groupe le désigne comme "le délateur". "Je suis un paria, les syndicats m'ont dit :il y a un collègue en prison, on peut pas te féliciter, t'as pas sauvé de vie".

Ému aux larmes. Christophe Annunziata évoque avec amertume son départ de la brigade des mineurs. "J'ai perdu tout ce que j'avais souhaité toute ma carrière mais avec la hiérarchie, on n'avait plus les mêmes valeurs. C'est la récompense de mon acharnement".

"Comment vous sentez-vous ?", le questionne la présidente Nourith Reliquet au terme de la déposition. "Il y a un paquet d'émotions mais ça y est, je peux passer à autre chose".

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