Le mystère d'un triple meurtre de 1941 déchire un frère et une sœur

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Si l'écrivain Georges Arnaud a été acquitté du massacre en 1941 de sa famille, un triple homicide jamais élucidé, sa fille l'accuse aujourd'hui d'être l'assassin, déclenchant la colère du fils.
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Le romancier s'est fait connaître en 1950, sous pseudonyme, avec le best-seller "Le Salaire de la peur", adapté ensuite au cinéma par Henri-Georges Clouzot, avec Yves Montand.

Georges Arnaud est maintenant le protagoniste d'un des livres qui font le plus parler lors de cette rentrée littéraire, aux Éditions Grasset: "In violentia veritas", de sa fille Catherine Girard, sorti le 20 août.

Henri Girard, de son vrai nom, doit son premier moment de célébrité à l'affaire du château d'Escoire, en Dordogne, lieu d'un triple homicide qui a suscité un procès d'assises retentissant, au printemps 1943. Accusé d'avoir mutilé son père, sa tante et une bonne avec une serpe le 24 octobre 1941, il sort sous les acclamations.

Pour la Justice, le dossier est clos: l'assassin n'a jamais été retrouvé et ces meurtres restent impunis.

"Lyrisme sombre"

D'un côté, Catherine, qui fait une entrée fracassante dans la littérature à 62 ans, écrit que son père, à qui elle demandait, adolescente, dans les années 1970, s'il était le meurtrier, lui a répondu que oui. Puis elle déroule la vie de cet homme, de 1930 jusqu'aux meurtres.

C'est un crescendo spectaculaire, menant à une scène finale extrêmement violente. Il a impressionné la critique littéraire. Le Monde l'a trouvé "ardent et minutieux, d'un lyrisme sombre", et n'hésite pas à dire que l'autrice est "la fille de l'assassin", un "géniteur à la fois homicide et charmant".

De l'autre côté, son demi-frère dénonce une pure fiction.

"Rien, dans la personnalité et le parcours d'Henri Girard, ne corrobore ces accusations", écrit dans un communiqué à l'AFP Henri Girard, fils de l'écrivain, 78 ans, et qui porte le même prénom que son père.

"Ces accusations sont gravissimes et nous les contestons fermement", ajoute-t-il, au nom de ses enfants et petits-enfants.

Interrogé, Henri Girard dit souffrir du crédit aujourd'hui donné à cette thèse. "Mon père a affronté toute sa vie des accusations de gens qui étaient ses ennemis politiques et qui le ramenaient sans cesse à cette histoire. Je me désole que cela ressurgisse aujourd'hui, venant de sa fille".

"J'avais été rassuré par le livre de Philippe Jaenada, qui me semble avoir fait un travail très sérieux. Pour moi, c'est strictement impossible qu'il ait tué", conclut-il.

"Tissu de mensonges"

Philippe Jaenada, écrivain, est un ami de son fils, Emmanuel. Ce spécialiste des faits divers anciens a publié sur l'affaire un livre marquant, "La Serpe", prix Femina 2017, qui conclut à l'innocence de Georges Arnaud, mort en 1987.

Interrogé par l'AFP, l'écrivain, après avoir lu "In violentia veritas", y voit "un tissu de mensonges".

Catherine et Henri Girard, qui n'ont pas la même mère, s'entendaient mieux autrefois. En 1988, ils avaient remporté ensemble un procès pour diffamation contre Le Quotidien de Paris, qui qualifiait leur père d'assassin.

En 2023, Catherine, marraine du Salon du polar du château d'Escoire, y parlait de l'affaire de 1941 sans accuser son père.

Chez Grasset, la perspective du scandale ne réjouit pas. Comme l'ont constaté d'autres auteurs ces dernières années, avoir un roman attaqué par des membres de la famille de personnages qui y figurent est un lourd handicap si l'on prétend à un prix littéraire. Les jurys règlent généralement le problème en écartant le livre visé.

"Le dissensus au sein de la famille ne nous regarde pas. La force littéraire de ce livre est indiscutable et c'est ce qui nous a donné envie de le programmer à la rentrée", a affirmé à l'AFP le PDG de Grasset, Olivier Nora.

Catherine Girard a refusé de s'entretenir avec l'AFP. Au Monde, elle a déclaré: "J'ai écrit sur une tragédie familiale dont je suis imbibée depuis l'enfance. J'ai grandi dans la plaie que mon père s'est entaillée en lui-même".

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