Une semaine après l'assassinat de Mehdi Kessaci, les ministres de l'Intérieur et de la Justice sont très attendus ce jeudi à Marseille, dans un contexte où la lutte contre le narcobanditisme "est loin d'être gagnée".
Gérald Darmanin et Laurent Nuñez, ex-préfet de police des Bouches-du-Rhône, passeront la journée dans la deuxième ville de France auprès des magistrats et des enquêteurs en première ligne dans ce combat. Ils doivent aussi échanger en début d'après-midi avec la famille Kessaci.
"Place à l'action"
"Arrêtons tous ces discours, arrêtons tous ces effets d'annonce" : "maintenant, juste place à l'action", a lancé Amine Kessaci, qui avait déjà perdu un autre frère, Brahim, dans un narchomicide en 2020. L'assassinat en plein jour de Mehdi, qui voulait devenir policier, a tétanisé la ville. La justice étudie la piste d'"un crime d'intimidation" visant Amine. Mais ce dernier a prévenu qu'il ne se tairait pas et a appelé à descendre dans la rue samedi pour une marche blanche.
"Ces gens ils me cherchaient moi, et moi j'étais protégé, pas mon petit frère", a-t-il dit dans un entretien jeudi matin sur la radio de France Info.
"Le premier sentiment que j'ai c'est la culpabilité", a-t-il dit la voix brisée par l'émotion. "Ce qu'on peut reprocher aujourd'hui à Mehdi Kessaci c'est d'être le frère d'Amine Kessaci et de me dire que mon frère est aujourd'hui dans ce cercueil à ma place."
Enchaînant les interventions dans les médias, il a demandé que son frère soit reconnu à titre posthume "comme un gardien de la paix". Il espère une mobilisation devant toutes les mairies de France, avec des minutes de silence samedi.
"Le climat se tend"
Le maire divers gauche de Marseille, Benoît Payan a lui appelé à ne "pas avoir peur". Mais dans les milieux associatifs, dans les médias et dans les couloirs du palais de justice, la peur, les doutes, l'envie d'être prudent sont bien là.
Des magistrats plaident pour une anonymisation dans les procédures concernant des narcotrafiquants, comme la DZ Mafia, qui n'hésitent pas à recruter des adolescents sur les réseaux sociaux pour leur demander d'exécuter "un contrat" pour quelques milliers d'euros seulement.
"La lutte contre la criminalité organisée est de plus en plus dure. Le climat se tend, va crescendo (...) La lutte n'est pas perdue mais elle est difficile et loin d'être gagnée", confie à l'AFP une source judiciaire.
Au tribunal, tout le monde se souvient de la soufflante reçue de la part de l'ex-garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, en mars 2024. Il leur avait reproché leur défaitisme : une juge d'instruction avait dit devant une commission parlementaire craindre "que nous soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille".
Mardi, lors d'une réunion d'urgence à l'Elysée, le président Emmanuel Macron a appelé à adopter face au narcotrafic la même approche que contre "le terrorisme". Sur cette stratégie, des détails sont attendus jeudi.
500 dossiers à juger
Réagissant à un appel du Rassemblement national d'instaurer un état d'urgence à Marseille, une source gouvernementale estime qu'un tel dispositif "ça ne vous démantèle pas des points de deal, ça ne démantèle pas des réseaux, ce n’est pas ce qui vous améliore la sécurité dans les quartiers".
Benoît Payan réclame lui "encore plus" de moyens. "On n'a rien trouvé de mieux que de supprimer la préfecture de police à Marseille", tacle-t-il, interrogé par l'AFP et "si on avait plus d'effectifs de policiers judiciaires, de magistrats, peut-être que ça serait différent".
"Il faut s'attaquer à tous les niveaux de la chaîne, du chef de réseau international au consommateur", a déclaré de son côté Renaud Muselier, président Renaissance de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Gérald Darmanin a dit avoir réclamé aux Emirats l'extradition d'"une quinzaine" de narcotrafiquants présumés.
La juridiction marseillaise, troisième de France, a été renforcée ces dernières années avec aujourd'hui 143 magistrats du siège et 60 au parquet, mais toujours moins qu'à Bobigny.
A la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 500 procédures criminelles sont en attente de jugement. Parmi elles, le dossier des assassins présumés de Brahim, le grand frère d'Amine, tué en 2020 avec deux autres jeunes hommes.
Mais l'embolie judiciaire est telle que des dates de procès n'ont toujours pas été fixées même si ce dossier "fera l'objet d'un audiencement prioritaire", promet-on.








