Le calvaire d'un jeune dealer torturé à Marseille jugé en appel

Crédit : Adobe Stock
Un adolescent paumé attiré par le mirage de l'argent facile à Marseille puis brisé par une nuit de tortures: cette affaire emblématique des violences liées à la drogue est jugée en appel à Nice où une peine exemplaire de 30 ans de prison a été requise.
À voir également sur Brut

Le verdict est attendu en fin d'après-midi mardi.

En première instance il y a deux ans devant les assises des Bouches-du-Rhône, El Kabir M'Saidie Ali, qui a toujours nié toute implication, avait été condamné à 25 ans de réclusion pour séquestration accompagnée d'actes de torture et de barbarie.

"J'ai rien à voir de près ou de loin avec cette histoire", a répété pendant une semaine de procès devant la cour d'assises d'appel des Alpes-Maritimes El Kabir M'Saidie Ali, qui avait 20 ans au moment des faits.

Lui affirme qu'il était dans la région lyonnaise au moment des faits mais n'a pas apporté d'éléments ou témoignages probants en attestant, alors qu'il a été identifié par deux témoins déposant sur X et par la victime lors d'une reconnaissance vocale.

Cette victime a un parcours cabossé typique des jeunes qu'on retrouve sur les points de deal marseillais. Issu d'une famille réfugiée de République démocratique du Congo (RDC), placé dès l'âge de deux ans, l'adolescent avait fugué à 16 ans de son foyer de Chartres (Eure-et-Loir) pour rejoindre Marseille, dans l'idée de se "faire de l'argent facilement".

Son avocat, Me Xavier Torré, le décrit comme un jeune sans autres repères que les clips de rap. "Un profil que l'on retrouve aussi dans l'autre camp", dont il aurait aussi pu faire partie si les circonstances avaient été différentes.

C'est l'été 2019, il arrive dans la deuxième ville de France, se fait engager dans un quartier. Il est interpellé, placé dans un foyer, d'où il fugue. En sortant, il va récupérer la drogue qui n'avait pas été saisie et tente de la revendre pour son compte dans la cité Felix-Pyat, située au début des quartiers Nord. "Une idée suicidaire", selon un enquêteur.

"Mort-vivant"

Vite repéré, il est battu, entraîné dans un ancien local associatif où de nombreux jeunes se succèdent pour frapper ou regarder. Le soir tombant, il est ligoté à une chaise, les vêtements arrachés, les yeux bandés, un bâillon dans la bouche... et longuement torturé.

Une quarantaine de brûlures de cigarettes, des brûlures au chalumeau au niveau des parties génitales... La douleur est telle que l'adolescent a raconté aux enquêteurs avoir essayé d'avaler son bâillon pour s'étouffer et en finir.

Secouru par un grand du quartier, il passera un mois dans un service de grands brûlés, sous protection policière. "Il n'a plus de moteur", selon Me Xavier Torré. "Sa vie s'est arrêtée. C'est un mort-vivant".

Après avoir erré entre foyers et hôtels sociaux, il est désormais hospitalisé en psychiatrie, sous curatelle renforcée. Agé aujourd'hui de 22 ans, il a témoigné vendredi en visio, le visage secoué de bâillements et de grimaces, peinant à répondre autrement que par "oui" ou "non". "J'essaie de passer à autre chose", a-t-il expliqué. 

Entre 2022 et 2023, un jeune de 17 ans et trois jeunes majeurs, impliqués à des degrés divers dans son calvaire, ont été condamnés à des peines de 5 à 10 ans de réclusion.

Accusé d'être l'un des deux principaux tortionnaires - le second n'a pas pu être formellement identifié - M. M'Saidie "a sa place dans le box", a insisté l'avocate générale, Vinciane De Jongh, estimant que ses dénégations auguraient mal d'une future réinsertion. 

"Tout a été grossi pour présenter M. M'Saidie comme un monstre mais répéter dix fois la même chose n'en fait pas une vérité", a plaidé son avocate, Me Kim Camus, relevant des incohérences dans les témoignages.

De nombreux adolescents sont recrutés via les réseaux sociaux pour venir trafiquer à Marseille. Certains d'entre eux se retrouvent rapidement soumis au réseau avec de nombreux cas de séquestration, torture, voir viol.

Depuis cette affaire emblématique de la cité Felix-Pyat, les autorités réfléchissent à comment sortir ces jeunes de cette spirale qui s'apparente, pour certains magistrats, à de la traite d'êtres humains.

A voir aussi