Mai-Anh Tran, dessinatrice de BD : raconter les “boat people” et le “racisme anti-asiatique”

Mai-Anh Tran, Instagram
Dans ses BD publiées sur les réseaux, la jeune femme raconte l’histoire de sa famille, des immigrés vietnamiens, et le racisme anti-asiatique, souvent passé sous silence. Portrait.
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“Ma famille vient de ce pays”. C’est ainsi que commence le récit de Mai-Anh Tran, jeune dessinatrice de bande dessinée sur Instagram. Ce pays, c’est le Vietnam. “J’avais envie de parler du racisme anti-asiatique depuis longtemps”, commence-elle simplement dans sa première publication du 3 août 2020, sur son compte @manhma.trn.

Cinq ans après, ils sont plus de 16 000 abonnés à suivre ses anecdotes du quotidien, ses histoires personnelles et ses réflexions plus profondes. Les couleurs douces de ses dessins - le rose, le violet, le jaune - n’occultent en rien les sujets complexes qui y sont évoqués : le racisme et l’histoire de sa famille.

Lorsque nous la rencontrons à la terrasse d’un café parisien au début de l’automne, elle arbore un pull d’un vert profond et un patch Hello Kitty sur la joue. Elle commande un simple allongé et tient à lever toute ambiguïté.

“Ma technique est encore très amateure”. Elle en veut pour preuve son outil de travail : une application destinée aux enfants, sur l’Ipad qui appartenait à sa mère, et est devenu le sien au fil du temps.

Récit familial

Son attrait pour le récit est ancien, Mai-Anh écrivait sur des petits carnets, aidée par sa mère. Celui pour le dessin également, la jeune femme dessine depuis l’enfance, elle qui a grandi dans une famille de cadres. 

Ses premières lectures ? “Lou”, “Astérix et Obélix”, “Les Schtroumpfs”... des albums qu’elle a dévoré, sur lesquels elle porte aujourd’hui un regard critique, mais pas anachronique : “c’était une autre époque”, estime-t-elle à propos, par exemple, du pirate noir aux attributs racistes dans Astérix et Obélix. 

A quinze ans, Mai-Anh participe à quelques concours annuels de BD, dans sa ville natale, Antony. Dès ses premières planches s’impose le récit de sa famille d’immigrés, “des boat people”. Ces milliers de Vietnamiens qui, en 1975, prenaient la mer pour fuir leur pays et l’idéologie communiste. Parmi eux, ses parents, âgés de 8 et 10 ans.

Au fil des planches, Mai-Anh esquisse l’histoire de ses proches. La diaspora vietnamienne encore fragmentée par les non-dits de la guerre civile, l’excellence académique de ses parents, le discours du dur labeur… Comme une illustration du stéréotype qui colle à la peau des immigrés asiatiques, les “exemplaires”.

“Dans ma famille, on parle français”, raconte la jeune femme qui regrette ne pas maîtriser le vietnamien. 

Ses parents soutiennent son travail mais ne sont pas d’accord sur tout, “ils ont leur propre récit”. Ses deux grands-mères, loquaces, lui ont ouvert une fenêtre - presque une porte - sur le récit familial. “J’avais besoin de parler de tout ça en BD”, avoue Mai-Anh dans un sourire. 

En parler pour poser des mots et créer “un pont” entre deux générations, liées par la même histoire mais aux vécus différents. A commencer par l’expérience du racisme. Un sujet majeur pour Mai-Anh, anecdotique pour ses aïeules.

“Ma grand-mère pense que c’est bizarre de subir du racisme en tant qu’asiatique”. 

"Raconter des choses avec sa colère c’est puissant"

Pourtant, dans nombre de ses dessins, la jeune femme relate ce qu’elle qualifie de “micro-agressions”. Un exemple marquant ? Lorsque des enfants lui ont lancé des insultes racistes dans la rue. “C’était violent car ils étaient si jeunes”, s’émeut-elle.

De citer aussi la fétichisation de la part de certains hommes. L’un d’entre eux lui écrit un jour : “j’ai jamais couché avec une meuf asiat’”. Surprise, choc, puis le besoin d’en faire quelque chose. 

“Je me mets à dessiner après un processus d’écriture qui prend du temps”, explique Mai-Anh car, “raconter des choses avec sa colère c’est puissant, mais ça a moins d’impact que quand c’est réfléchi”.

Pour elle, ce sont d’ailleurs les récits relatant ses expériences de racisme qui lui ont permis de commencer à toucher plus de gens en ligne. “Ça a pris quand je suis arrivée à Sciences Po car je me suis politisée, je me suis rendue compte de la profondeur du racisme et j’ai trouvé des mots pour verbaliser ce que je ressentais.”

Un post instagram, avec une dizaine de planches, lui prend entre 8 et 10 heures de travail. 

La jeune femme s’interroge à voix haute, “pourquoi je me livre autant ?”.

“Je pense que j’ai besoin de me réapproprier mon identité”, réfléchit-elle. Mais une autre raison la pousse à raconter ses expériences de vie. “Je reçois des messages d’autres femmes vietnamiennes, certaines depuis les Etats-Unis, pour me dire que mes BD leur font du bien”. Même réactions lorsque la jeune femme évoque au fil des planches, sa bisexualité.

“Je ne sais pas si je pourrai en vivre, mais la BD fera toujours partie intégrante de ma vie”, assure la jeune femme. La notoriété acquise en ligne lui a permis de participer à une campagne d’affichage contre les violences sexistes et sexuelles organisée par Sciences Po. 

En free-lance, Mai-Anh a le projet de créer un premier album physique. Le sujet ? “Mes combats politiques sans aucun doute.”

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