L’imperfection à l’ère des réseaux sociaux

"Comment quelque chose, qui au départ est une demande de liberté, devient un tribunal où on condamne ?" A-t-on encore le droit à l'erreur, à l'imprécision ou l'imperfection sur les réseaux sociaux ? La philosophe Laurence Devillairs nous éclaire sur ce sujet.

Le droit à l’erreur existe-t-il toujours sur les réseaux sociaux ?

Pour la philosophe Laurence Devillairs, il n’est pas excessif de dire qu’aujourd’hui, nous n’avons plus le droit à l’erreur et à l'imprécision sur les réseaux sociaux. “Le numérique, avec son flux permanent où une information en efface une autre, souligne le côté irréversible. Dans la vie, notre personnalité est très souple, en réalité. C’est notre caractère qui est assez figé, mais notre personnalité bouge alors que le numérique va nous figer à tout jamais dans des choses qu'on a dites. Donc ça, c'est le côté irréversible. Pour le droit à l'imperfection, c'est encore autre chose et d'une certaine façon, c'est à mon avis, plus grave”, explique la philosophe. 

Qui suis-je ? (sur les réseaux sociaux) - Brut philo


Sur les réseaux sociaux, la philosophe explique qu’un “esprit club” apporte une notion d'exclusion, où se forme rapidement un tribunal qui juge les faits et gestes des utilisateurs. “Moi, ce qui me frappe, c'est que le monde du numérique, que j'aime pour sa rapidité et sa vitesse, n'est pas un monde de liberté. C'est plus un monde de la perfection, où il faut faire vraiment attention à ce qu'on dit parce qu'on n'a pas le droit à l'erreur. C’est un endroit très fermé, irréversible ou très normé, où il faut dire des choses et pas d'autres”, ajoute-t-elle. 


Même si Internet s’est construit dans un esprit libertaire, avec une volonté et une demande de liberté et de ne pas être cloisonné dans des cases, aujourd’hui, les utilisateurs sont condamnés par un tribunal, avec des “châtiments ou des récompenses”.  

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Vers le puritanisme ? 

Sur ces questions de droit à l’erreur et d’impression, nous touchons aussi à des questions qui relèvent des valeurs, comme, par exemple, l’écologie. Sur les réseaux sociaux, un militant écologiste qui utilise un téléphone ou une voiture est remis en question dans ses convictions par les internautes, qui jugent qu’il n’est pas légitime à défendre cette cause. Pour la philosophe, cela s'appelle du “puritanisme”. “C'est l'idée que si je ne me suis pas rendu parfait au point d'être pur, sans défaut, dans une cohérence rigide, alors je n'ai pas le droit de dire ce que je dis, je n'ai pas le droit de défendre, je n'ai pas le droit d'être celui que je veux être. On peut se mettre à défendre les océans alors qu'on n'est ni marin, ni né au bord de la mer”, justifie Laurence Devillairs. “La rigidité, l'idée de perfection, de cohérence absolue, de puritanisme, ce n'est pas la morale. Parce que si vous dites ça, vous niez la possibilité de l'engagement. L'engagement, c'est quoi? C'est à un moment donné, je me mets debout et je me dis ‘ça, non’.


Une jeunesse dans la valeur 

Pour elle, ce système de jugement mis en place sur les réseaux sociaux relève un “effet de génération”. “Moi, j'étais dans la génération du mouvement punk où on ne voulait surtout pas être pris dans l'idée qu'il y a des choses qui se font et d’autres pas. C’est le fameux slogan "No future”, qui voulait dire ‘il n'y a rien qui, maintenant, demain, aujourd'hui, après-demain, va me dire ce que je dois faire’. Et moi, je suis frappée de voir que la jeune génération, aujourd'hui, n'est pas très punk”. Pour elle, cette génération est plutôt dans une forme de moralisme et de valeur où un comportement est plus valorisé qu’un autre. “On est plus dans le moralisme que dans la morale”, termine-t-elle. 

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