Thomas Snegaroff raconte l'origine de la rumeur d'Orléans

Des jeunes Françaises qui se font enlever dans des cabines d'essayage avant d'être transportées en sous-marin à l'autre bout du monde pour être prostituées. En 1969, cette rumeur éclatait à Orléans. Thomas Snegaroff raconte son origine et les peurs qui l'ont aidée à se propager.

D'où vient la rumeur d'Orléans ?


En mai 1969, une rumeur se répand : des jeunes femmes disparaissent mystérieusement dans les cabines d’essayage de magasin de vêtements. Il parait qu’on les exfiltre ensuite par sous-marin, de la Loire jusqu’en Amérique latine… L’historien Thomas Snégaroff revient pour Brut sur la rumeur d’Orléans, liée de près à l’antisémitisme de l’époque.


Comment disparaissent ces jeunes femmes ? Il semble qu’elles s'évanouissent, parfois en se faisant piquer le pied par des aiguilles mises dans des chaussures qu'elles essayent. On raconte, à l'époque, qu'elles disparaissent selon un chemin très particulier : d’abord dans les sous-sols des grands magasins, puis on les amène discrètement sur la Loire. De la Loire, elles partent dans des sous-marins, vers l'océan et disparaissent pour être, probablement, prostituées en Amérique latine ou dans les pays du Moyen-Orient… Une véritable traite des blanches.


Cette histoire, va prendre une dimension énorme en quelques jours : la rumeur devient rapidement une « véritable angoisse et une véritable folie » décrit Thomas Snégaroff. Le 31 mai, quelques jours seulement après le déclenchement de la rumeur, des manifestations sont organisées devant les magasins pour demander des comptes aux commerçants.


Les commerçants sont juifs et il y a une claire dimension antisémite à ce qui se joue dans l’histoire de cette rumeur. Selon cette rumeur, ce seraient donc les Juifs qui auraient organisé cet esclavage moderne. « Ce qui renvoie aussi à une vieille idée, une vieille rumeur aussi, que les Juifs seraient ceux qui auraient le plus bénéficié de l'esclavage et de la traite négrière » explique Thomas Snégaroff.


En fait, jamais aucune jeune fille n’avait disparu dans une cabine d’essayage. Des enquêtes ont été menées et la police l'a même évoquée publiquement. « Mais cela n'a pas éteint la rumeur parce que les gens se sont dit : les Juifs ont acheté le silence de la police » précise Thomas Snégaroff.


À ce moment-là, tout le monde assure connaître quelqu'un qui connaît quelqu'un qui a disparu. Finalement, comme on ne trouve aucune famille qui revendique la disparition d’une de ces filles, la rumeur s’éteint en quelques semaines.


Cette rumeur d’Orléans est restée dans la mémoire collective, non seulement en raison du caractère extraordinaire de ce qu'il s'est passé, mais aussi parce que le sociologue Edgar Morin, a lui-même mené une grande enquête sur ce qu'il s'était passé. Il apportait ainsi à la rumeur d’Orléans une piste d’explication : « Pour les parents et pour certains éducateurs, ils voient là l'illustration concrète du danger que représente, pour eux, toute cette nouvelle mode pour la jeunesse : la minijupe, Saint-Germain-des-Prés, le yéyé, Paris… Tout cela est symbolisé dans ces nouveaux magasins modernes, avec salons d’essayage » expliquait Edgar Morin en 1969.


Cette rumeur était donc l’occasion de mettre en garde leurs enfants. « Il y a l'idée que la modernité, la femme libre qui s'habille comme elle veut, y compris de manière dévêtue, ça peut la conduire vers le pire : la traite des blanches, la prostitution, peut-être, un jour » conclut Thomas Snégaroff.


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