La plus haute juridiction judiciaire a débattu vendredi d'une question capitale: le délai de prescription court-il nécessairement à partir de la disparition inexpliquée de la victime ?
Preuve de l'importance du moment, et de la décision attendue le 16 janvier, des magistrats du pôle "cold case" de Nanterre, spécialisés dans les crimes non-élucidés, ont assisté vendredi à cette audience. Qui s'est tenue en assemblée plénière, la formation la plus solennelle de la Cour de cassation.
Au cœur de ce dossier, il y a Marie-Thérèse Bonfanti, portée disparue à l'âge de 25 ans le 22 mai 1986, alors qu'elle distribuait des journaux à Pontcharra (Isère).
Yves Chatain, qui vivait dans le voisinage, avait été soupçonné puis relâché. Un non-lieu prononcé en 1987 a été confirmé en 1989. L'affaire est alors devenue un "cold case".
Mais le dossier a connu un revirement majeur en mai 2022 avec une nouvelle interpellation d'Yves Chatain, qui a finalement avoué avoir étranglé Marie-Thérèse Bonfanti, avant de cacher son cadavre.
"Évolution d'appréciation"
Mis en examen pour enlèvement, séquestration et homicide volontaire, puis écroué, Yves Chatain, sexagénaire aujourd'hui, a été remis en liberté sous contrôle judiciaire en décembre 2023, en raison d'interrogations sur la prescription des faits.
Depuis cette mise en examen, la justice débat de cette question.
Me Hélène Farge, avocate du camp Chatain, a martelé devant la cour qu'en cas d'"infraction dissimulée", la loi dit qu'on ne peut pas engager de poursuites "au-delà de 30 ans" après la commission des faits. Ces derniers sont reliés par la défense d'Yves Chatain au jour de la disparition de la victime.
Me Hélène Farge a ensuite élargi le débat juridique en pointant que la prescription ne devait pas être dénaturée et servir "d'instrument de rattrapage pour des enquêtes inabouties".
Me Catherine Bauer-Violas, conseil du camp Bonfanti, a opposé qu'en raison de "l'incomplétude des restes" de la victime, retrouvés sur indication d'Yves Chatain en 2022, les experts n'avaient pu dater précisément la mort de la victime. "Un délai butoir pour la prescription" ne peut donc être de mise, a-t-elle avancé.
Rémy Heitz, procureur général de la Cour de cassation, a plaidé aussi dans ce sens pour une "évolution d'appréciation", soutenant qu'un dossier comme celui-ci "ne peut commencer à se prescrire tant qu'il est ignoré de tous, sauf de son auteur".
"Attentes de la société"
Le procureur général a fait valoir qu'au-delà de la dissimulation du meurtre, les enquêteurs s'étaient trouvés à l'origine face à l'absence "d'indices apparents" et "de mobile": "Comment imaginer que Mme Bonfanti aurait pu être étranglée car elle s'était mal garée ?" C'est ainsi qu'Yves Chatain a expliqué son geste lors de ses aveux en 2022.
Rémy Heitz a souligné qu'une "évolution et non révolution", autour de la prescription dans ce type de dossiers, est induite par les "attentes de la société" aujourd'hui. "La mémoire du crime ne s'efface jamais pour les victimes et leurs familles", a-t-il asséné.
"On ne demande pas effectivement la fin de la prescription, ce qu'on demande c'est l'allègement de certaines règles trop rigoureuses pour certains cas", a commenté en marge de l'audience Me Bernard Boulloud, avocat historique de la famille de la victime.
À la sortie de l'audience, Flavien Bonfanti, fils de la victime - il avait six mois quand sa mère a disparu et aura 40 ans en 2026 - a tenu à s'adresser devant micros et caméras à "toutes les familles qui sont dans le même cas".
"A votre tour, ne perdez pas espoir, transformez votre tristesse en énergie pour vous relever et faites la même chose que nous". Et de conclure: "Vous allez finir de pousser les portes qu'on a commencé à ouvrir et faire évoluer la justice".








