L’interview d’Arthur Teboul sur les textes de l'album Labyrinthe de Feu! Chatterton

Le chanteur et parolier de Feu! Chatterton publie avec son groupe Labyrinthe, un quatrième album où il interroge la place des mots, la poésie et l’époque. Dans une interview exclusive, notre journaliste Aymeric Goetschy discute avec Arthur Teboul de son rapport aux mots, entre poésie, époque et simplicité.
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Arthur Teboul : Pendant très longtemps, j'ai pensé qu'une bonne chanson devait tenir sur un papier. Et en fait, plus j'ai avancé dans le travail des chansonniers, plus j'ai changé d'avis là-dessus. Si, quand vous enlevez la musique d'une chanson pour en garder que le texte, et que le texte vous déçoit un peu, c'est bon signe. Ça veut dire que la forme pleine et entière de la chanson, c'est la chanson. 

Aymeric Goetschy : Avant de te voir, j'ai regardé plusieurs interviews que tu as faites, notamment une à la librairie Mola. Et dans cette interview, tu disais qu'il y avait des mots que tu n'arrivais pas à prononcer dans tes poèmes, mais j'imagine que c'est le cas également dans tes chansons. Tu parlais de Instagram et TikTok, tu n'arrivais pas à les mettre dans tes poèmes. Est-ce qu'il y a des mots comme ça, au-delà de Instagram et TikTok, que tu n'arrives pas à chanter ?

Arthur Teboul : Oui, j'aimerais être capable de m'emparer plus instantanément des mots du quotidien, des mots du réel, parce que pour moi la langue poétique en chanson, ce sont que des canaux différents pour exprimer notre réel, la langue elle doit s'emparer de tous les champs du monde et du quotidien. Et quand elle ne le fait pas, et c'est pour ça que parfois la poésie est considérée comme comme une forme désuète, austère, snob, élitiste, c'est parce qu'à un moment, elle ne s'est pas assez emparée des mots du quotidien. Souvent des noms de marques, ou des mots, ou des anglicismes.

Le rap comme chronique de l’époque

Aymeric Goetschy : Dans le rap, il y a beaucoup de marques.

Arthur Teboul : Oui, c'est pour ça que j'aime tant le rap. Je suis un enfant des années 90. Donc j'ai grandi avec le rap. Le rap c'est ma culture en parallèle de la chanson. Parce qu'on écoutait du rap. On écoutait Lunatic, on écoutait Booba, on écoutait Oxmo, les X-Men, H-Point, 113, c'était notre génération. Là où je suis hyper admiratif du rap, c'est cette capacité à intégrer tout de suite et les marques, et les célébrités, et les faits divers, et les noms du quotidien. C'est une chronique de l'époque. Et en fait, la musique, la chanson, la poésie, elle est faite pour ça. Moi, j'essaie aussi de chroniquer notre époque. Je le fais à ma façon parce qu'il y a des mots qui ne viennent pas dans ma bouche pour des chansons. Aussi, peut-être au fond, parce que dans ma manière de faire, j'ai toujours un désir, conscient ou pas, de capter du présent quelque chose qui soit intemporel. Donc peut-être décorréler un peu des marqueurs du présent. J'aimerais tant qu'il y ait une scène aussi effervescente dans notre style, on va dire, dans la chanson, que dans le rap, où chaque jour il y a une remise en question de la forme, des mots, aussi une violence faite à la langue. C'est-à-dire... Une manière de ne pas respecter certaines règles syntaxiques, parfois même certaines phrases. Ça fait longtemps maintenant que dans le rap, on se permet d'enlever les articles, les “le”, les “la”, et même parfois les verbes. Il y a un truc de forme que j'adore, une audace qui m'inspire.

Aymeric Goetschy : Il y a la question du sens. Moi, je pense à Kurt Cobain ou Alain Bashung. Nirvana, quand on écoute leurs paroles, ça n'a pas de sens premier. Peut-être qu'il y a des interprétations, mais il n'y a pas un sens évident. Bashung, un peu pareil. Est-ce que pour toi le sens d'une chanson est important ?

Arthur Teboul : Il est important quand il est comme chez Cobain ou Bashung. En fait il y a aussi un truc : dans le groupe, de fait je suis la parole de 5 individus (Fusheterton). Mon groupe. Mon propos doit être assez évocateur pour qu'on s'attache à quelque chose, mais assez ouvert pour que chacun invente un sens. C'est ce que j'aime tant chez Bashung, et qui peut laisser certains de marbre, c'est que moi j'y trouve toujours de multiples sens. Je m'accroche à des phrases. Et d'ailleurs je suis persuadé que cette manière d'écrire aussi allusive, aussi mystérieuse, elle demande un travail fou pour tenir quand même sur le fil. C'est ce que j'aime autant avec la poésie, et c'est pour ça que peut-être ma manière d'écrire est... Et dans cette façon-là de faire, c'est... Elle accueille plusieurs sens, donc elle n'est pas tout le temps extrêmement directe et claire. Ça fait travailler l'auditeur en fait. Il y a des images, il y a de la nourriture, et chacun peut s'inventer son film, se raconter une histoire. Pour ça, il faut quand même qu'il y ait une clarté, sinon c'est fumeux et il n'y a rien à prendre, et juste on part.

Dire les choses plus simplement

Aymeric Goetschy : Pour les bruits de boue, j'ai l'occasion de discuter avec des romanciers, et souvent quand je leur pose la question de leur travail, de ce qu'ils font dans la réécriture, c'est de couper, de densifier. Est-ce que toi dans ton travail de parolier, c'est pareil ?

Arthur Teboul : Oui c'est pareil, c'est de densifier et de simplifier. Et c'est un travail dont je suis particulièrement satisfait sur l'album Labyrinthe, parce que ça a l'air de rien, je pense que si on compare nos trois albums et celui-ci, dans l'écriture des textes, bien sûr il y a beaucoup de proximité. Mais néanmoins pour moi c'était un long chemin et presque un arrachement de réussir à dire les choses plus simplement, plus directement. Je crois que ça m'a demandé d'avoir moins peur d'être vulnérable, et moins peur d'être plat. Parce que le risque, c'est de flirter avec la platitude. Mais je me suis dit, il vaut mieux que je prenne ce risque que l'autre risque que j'ai souvent pris, de la sophistication, et qui est une protection en soi en fait. L'écart entre quelque chose d'extrêmement profond et de complètement plat, il est tout fin. Il faut aller chercher dans cette frontière et ne jamais risquer la naïveté et la platitude. Parce que si on ne la risque pas, on ne risque pas non plus de trouver cette profondeur dans la simplicité.

Aymeric Goetschy : Sur le processus de fabrication, au début de Feuchterton, manifestement, tu écrivais des textes en entier. T'arrivais, il y avait la musique qui s'appliquait sur ces textes. Et puis, de ce que j'ai cru comprendre, c'est qu'aujourd'hui, vous travaillez beaucoup plus de manière imbriquée. Où tu arrives avec des phrases, des bouts de texte, et puis quelqu'un met de la musique, et puis ça crée la chanson. Je ne me trompe pas quand je dis ça ?

Arthur Teboul : Non, c'est ça, exactement.

Aymeric Goetschy : Est-ce qu'un texte peut changer si, par exemple, tout d'un coup, il y a une musique qui dit “tiens, on va faire du reggae” ? Est-ce que tes paroles seraient les mêmes pour une musique reggae que pour une musique techno ?

Arthur Teboul : Non, justement, mes paroles ne font que changer. Et la musique ne fait que changer. En fait, on est dans un constant dialogue. C'est une conversation. La musique et les paroles, mais le chant, c'est notre langue d'amitié, on est en conversation. Une phrase, un bout de texte que je viens de dire, va influencer la couleur de la chanson. Et d'autres fois, on voit bien que des arrangements qui sont cherchés sur le morceau ne racontent pas du tout la même chose que le texte. Et nos chansons, on essaye toujours de faire en sorte que leur forme exprime au mieux ce que le sens dit.

Un travail collectif

Aymeric Goetschy : Mais il n’y a pas des fois où les autres membres t'ont dit « Ah franchement, c'est pas terrible ce que t'as écrit ? »

Arthur Teboul : Si, si, c'est vrai. Ils ne me le disent pas comme ça. Non mais j'ai de la chance que, par exemple, pour la musique, tout ce qui est musique, franchement, on se dit les choses, il n'y a pas de forme. Ça tabasse. Et c'est pour ça que c'est aussi long pour nous d'arriver au bout des chansons. Mais on se dit les choses assez violemment. Parce que ça fait 15 ans qu'on est un couple. D'ailleurs parfois on se rend compte qu'il faudrait mettre un peu plus les formes, mais ce qui nous fait aller plus loin dans la structure. J'ai de la chance avec les textes, comme je suis tout seul à les faire, je trouve qu'ils font un peu plus gaffe quand ils veulent me dire des choses, mais encore que, avec le temps, et l'amour qu'on se porte à chacun, la bienveillance et la confiance qu'on a pris, c'est beaucoup plus facile. C'est pas tant c'est nul ou c'est pas nul, c'est juste que naturellement déjà, on travaille beaucoup plus que 13 chansons. Et naturellement on voit qu'il y a des chansons qui vont rester sur le côté pendant un temps. Peut-être qu'elles reviendront dans d'autres albums. Parce que simplement, ce que j'y raconte fait moins écho à ce que chacun vit. Donc elles sont moins portées par le groupe. Je le sens quand il y a un texte qui attrape les autres. Ça m'encourage à l'avancer, à le travailler.

Aymeric Goetschy : Est-ce qu'aujourd'hui, on écrit une chanson à l'ère de TikTok, par exemple, de la même façon qu'il y a 20 ans, quand il y avait moins cette immédiateté, cette guerre de l'attention ? Est-ce que, par exemple, le refrain doit arriver plus tôt parce que les gens zappent plus vite ?

Arthur Teboul : Alors ça, les maisons de disques le disent. C'est toujours bien. Mais en plus, je dis ça et puis nous, on ne le fait pas. On est sur Instagram, on n'est pas non plus des dinosaures. On est hyper actifs à notre échelle sur les réseaux sociaux. On sait comment ça se passe. Nous-même, on écoute la musique sur Spotify. Donc on zappe. Donc voilà, on sait, mais on ne peut pas s'empêcher dans notre manière de raconter des histoires. Et un morceau qui s'appelle « Ce qu'on devient » sur l'album, on aurait très bien pu s'arrêter après le deuxième refrain, et aujourd'hui il serait beaucoup plus écouté. C'est un calcul simple, objectif. Ton morceau il fait 4 minutes, ton album il fait 1 heure, imagine s'il faisait 30 minutes, il serait écouté 2 fois plus, donc tu aurais 2 fois plus de streams. Ton morceau il ferait 2 minutes, si les gens l'aiment, ils l'écouteraient 2 fois. Bah là non, on n'a pas pu s'empêcher de mettre un pont. Et on ouvre la première, le morceau il fait 5 minutes 30.

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