La remise en liberté de cet homme de 38 ans, qui ne souhaite pas donner son nom, a été ordonnée le 31 octobre par la cour d'appel de Paris, selon une source judiciaire. En détention provisoire depuis décembre 2023 dans le cadre d'un dossier correctionnel, il faisait partie de la centaine de détenus transférés l'été dernier au premier des quartiers de lutte contre la criminalité organisée (QLCO).
Dans ces structures ultra-sécurisées voulues par le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, les détenus sont à l'isolement, avec notamment pour objectif de les empêcher de communiquer avec l'extérieur. Un deuxième QLCO doit ouvrir rapidement à Condé-sur-Sarthe (Orne) et quatre autres sont annoncés.
"Pas ce profil""
Inspiré de la lutte antimafia en Italie, ce régime de détention, validé dans son principe comme dans ses modalités par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, est censé être réservé au haut du spectre de la criminalité organisée, notamment les plus gros narcotrafiquants comme Mohamed Amra.
Or, cet homme originaire d'Ile-de-France explique à l'AFP n'avoir "pas ce profil". Malgré plusieurs peines correctionnelles purgées pour trafic de stupéfiants, la dernière en 2022, "je n'ai jamais, jamais atterri dans un dossier criminel", relève-t-il.
Selon une source judiciaire, son casier ne porte effectivement aucune trace de condamnation pour des faits relevant d'une cour d'assises.
"On nous explique que ce sont les cent plus grands criminels" qui sont envoyés à Vendin, "et trois mois plus tard, notre très gros trafiquant, notre très dangereux personnage, il est dehors", ironise son avocate, Me Sarah Mauger-Poliak, selon qui "aucun élément objectif" ne vient justifier le transfert de son client à Vendin le 28 juillet.
"Ces décisions sont prises" par le ministère de la Justice "après un travail approfondi avec les magistrats, les services d'enquête et l'administration pénitentiaire, notamment son service de renseignement", réagit auprès de l'AFP une source à la Chancellerie, refusant de commenter un dossier particulier mais relevant que le transfert n'avait "pas été empêché par le juge d'instruction".
Parloirs "atroces"
Le libéré de Vendin est mis en examen dans une enquête de corruption d'une greffière pénitentiaire soupçonnée d'avoir modifié des fiches pénales de détenus pour réduire leur détention. Plusieurs éléments à décharge récemment apparus sont, selon sa défense, de nature à démontrer son innocence.
Si la cour d'appel de Paris a estimé le 31 octobre qu'il existait toujours "des indices graves ou concordants" justifiant sa mise en examen, elle a toutefois estimé que sa détention n'était "plus indispensable ni pour les nécessités de l'instruction, ni à titre de mesure de sûreté". Ce père de quatre enfants est sorti le jour même.
Il se souvient du transfèrement trois mois plus tôt depuis Villepinte (Seine-Saint-Denis), pieds et mains entravés dans le fourgon, des hommes du GIGN cagoulés, des hélicoptères. Et confie son sentiment que l'ouverture avait été décidée "dans la précipitation": "rien n'est prêt" quand les prisonniers arrivent, "ils attendent qu'on arrive et après ils s'organisent".
Selon son avocate, Vendin répond à "une stratégie politique de communication".
"Atroces", les parloirs sont ce qui a le plus marqué son client. Le premier, avec ses fils de 3 et 5 ans, fut "un choc": ils sont conduits par des gardes cagoulés à leur père. Sa grand-mère "ne comprend pas" la séparation physique par une glace sans tain: "Elle s'effondre, elle me dit : t'as dû tuer quelqu'un (...), dis-moi la vérité". Il lui demande de ne plus revenir.
Il raconte les caillebotis aux fenêtres qui laissent dans la pénombre des cellules où il faut rester 22 heures sur 24, le manque d'activités, la limitation à quatre heures hebdomadaires des appels à la famille, qui correspondent souvent aux heures de travail, d'école ou de promenade des détenus, la lumière allumée toutes les deux heures la nuit "pour voir si on est vivant".
"À la longue, le cerveau, il va péter", prévient-il.
"J'enchaînais les nuits blanches", "j'ai commencé à parler tout seul", raconte-t-il. Fin septembre, son avocate écrit à la direction sa crainte qu'il "puisse mettre fin à ses jours". Un mois plus tard, la cour d'appel ordonne la remise en liberté.







