Petites communes mais grands changements ?
Promulguée le 21 mai dernier, la loi visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales vient clore plus de 80 ans de lutte pour la parité en politique. Le scrutin de liste paritaire, déjà obligatoire pour de nombreuses communes, est généralisé à l’ensemble du territoire. Concrètement, dès les élections municipales de mars 2026, les quelques 24 000 communes de moins de 1 000 habitants devront appliquer les mêmes règles que les autres, en présentant des listes composées alternativement d’un homme et d’une femme.
Le combat pour imposer la parité n’a pas été aisé, la proposition de loi ayant suscité une levée de bouclier de la part de nombreux élus. “C’était laborieux, il a fallu convaincre, mais c’est une avancée démocratique importante”, se félicite Edith Gueugneau, maire de Bourbon-Lancy et vice-présidente de l’Association des maires de France (AMF). Ayant participé à plusieurs assemblées générales dans le pays, elle assure que l’introduction de la parité fait désormais consensus.
Crise des vocations
Si aucun maire contacté par Brut. ne critique la loi à proprement parler, certains s’inquiètent du calendrier serré de sa mise en œuvre.
“Changer les règles à moins d’un an du scrutin n’envoie pas un bon signal aux communes”, déplore Damien Barré, maire depuis deux ans et demi de Saint-Benoît-du-Sault (510 habitants), dans l’Indre. Sur les treize membres de son conseil municipal, quatre sont des femmes, “peu nombreuses mais volontaires”. Pour 2026, l’édile devra trouver au moins deux femmes supplémentaires, ce qui risque de s’avérer compliqué dans une petite commune de 500 habitants. La crise de vocations des maires, mais aussi des adjoints ou des conseillers municipaux, se fait ressentir sur l’ensemble du territoire.
Avec cette difficulté en tête, les législateurs ont introduit une souplesse dans la loi spécifique aux communes de moins de 1 000 habitants. Pourront être présentées des listes comptant jusqu’à deux candidats de moins que l’effectif théorique du conseil municipal. Concrètement, dans une commune de moins de 100 habitants, l’effectif légal étant de sept, une liste pourrait ne compter que cinq candidats, et donc deux ou trois femmes seulement.
Une majorité d’hommes dans la vie politique locale
L’introduction de la parité devenait une urgence, pour “améliorer la représentativité de la population et, lors de l’exercice du mandat, la prise en compte des différentes problématiques de politiques publiques en lien avec les femmes”, estime Armelle Le Bras-Chopard, professeur émérite de science politique à l'université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et co-auteure de “Femmes et République”, parue à la Documentation française (2021).
Après les élections municipales de 2020, la part des femmes dans les conseils municipaux a augmenté pour atteindre 42,4%, selon la Direction générale des collectivités locales (DGCL). Mais dans les communes de moins de 1 000 habitants, les avancées étaient plus limitées, avec seulement 37,6% de femmes.
Comme le note le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) dans un rapport de 2022, les hommes continuent de dominer la vie politique locale, notamment au sein des postes concentrant le plus de pouvoir. Ainsi, malgré la promulgation de la loi de 2007 imposant la parité des adjoints dans les communes de plus de 3 500 habitants, la proportion de femmes élues maires reste faible (19,8% après les élections de 2020). Si l’augmentation continuait à ce rythme de manière constante, il faudrait attendre plus de 20 ans pour atteindre la parité, souligne le rapport.
Parité pour les adjoints
À cela s’ajoute une inégalité dans la répartition même des fonctions. Les missions des élues locales sont encore attribuées selon les stéréotypes de genre. D’après les données recueillies auprès d’élus locaux, les commissions concernant la circulation, les travaux et la sécurité ne sont dirigées par des femmes que dans 9,7 % des cas et les commissions urbanisme, dans 24,5 % des cas. À l’inverse, les femmes représentent 78,1 % des adjointes en charge des affaires scolaires et 76,1 % des adjointes en charge de la petite enfance et de la famille.
C’est donc pour permettre aux femmes d’exercer des mandats “de pouvoir”, même dans les communes de moins de 1 000 habitants, que la loi du 21 mai 2025 a également introduit la parité pour les adjoints au maire.
“L’altérité est importante, tant dans les conseils municipaux que chez les adjoints”, reconnaît Alexandre Touzet, maire de Saint-Yon (914 habitants) dans l’Essonne, dont l’adjointe aux finances est une femme. L’édile ne se fait pas d'inquiétude pour les élections municipales de 2026, car il constitue une liste avec cinq élues sortantes.
Mais il existe autant de situations que de communes. François Gomez, maire de Thiescourt (749 habitants), dans l’Oise, dresse un constat plus sombre.
“On arrivera à la parité, mais ça ne va pas être facile, car dans nos petites communes nous n’avons pas un réservoir de candidats aussi important que celui des grandes villes”. Trouver des femmes désireuses d’exercer un mandat d’adjointe au maire lui semble compliqué.
Manque de légitimité
Comment expliquer une telle défiance ? D’abord, parce qu’un poste d’adjoint est synonyme de responsabilités importantes que les femmes n’osent pas toujours prendre.
“J’ai observé le syndrome de l’imposteur chez 100% des femmes avec lesquelles j’ai travaillé”, raconte Alexandre Touquet. Lors de son précédent mandat, une directrice de recherche au CNRS s’est inquiétée de ses compétences. Ce qui arrive peu chez les hommes qui s’engagent, selon l’édile. Ce mécanisme d’auto-censure limite les femmes alors que celles-ci sont souvent impliquées dans la vie associative, notamment en milieu rural.
“Ce manque de légitimité vient des stéréotypes de la société, que les femmes se sont appropriés malgré elles. Elles ne se sentent pas capables, se dévaluent, et n’osent pas se lancer”, observe Armelle Le Bras-Chopard.
À cette contrainte endogène s’ajoute celle du manque de disponibilité causé par l’inégale répartition des tâches. “Les femmes font déjà la double journée (l’addition d’une journée de travail à l’extérieur et à l’intérieur de la maison, NDLR), la charge mentale leur revient” souligne la politologue.
“Il est difficile de trouver des jeunes femmes prêtes à s’engager, car elles ont souvent des enfants”, abonde Alexandre Touquet. À cet égard, l’élu estime que le regard de la société, bien qu’ayant évolué, continue à stigmatiser les mères qui s’engagent et accordent moins de temps à leurs enfants.
Afin de permettre aux élus, et notamment aux femmes, de concilier mandat et vie personnelle -en attendant que le genre ne soit plus une question- une proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local a été adopté au Sénat le 22 octobre dernier. Elle prévoit notamment d’améliorer la prise en charge des frais de garde d’enfants ou le maintien du revenu des élus en cas de “maternité, paternité, accueil de l'enfant, et adoption”. Le texte doit être examiné par l'Assemblée nationale en deuxième lecture au mois de décembre 2025.


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