Le Parlement entérine une loi élevant Alfred Dreyfus au rang de général de brigade, à titre posthume

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Cette loi hautement symbolique, portée par l'ex-Premier ministre Gabriel Attal, vise à porter "réparation" et "reconnaissance" à l'officier juif injustement condamné en 1894.
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Un acte de "réparation" et de "reconnaissance" : le Parlement a entériné une loi élevant Alfred Dreyfus au rang de général de brigade à titre posthume lors d'un ultime vote du Sénat ce jeudi, malgré quelques réserves à droite et au centre.

"La Nation française élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade". Hautement symbolique, la proposition de loi de l'ancien Premier ministre Gabriel Attal tient en une phrase.

"Ce texte permet à la République de reconnaître son erreur, de reconnaître qu'un homme a été humilié", a souligné le patron des sénateurs socialistes Patrick Kanner. Au Sénat, c'est lui qui a porté ce texte en choisissant d'inscrire l'initiative des députés macronistes à l'ordre du jour de l'espace parlementaire réservé au PS.

La proposition a été adoptée à l'unanimité par les sénateurs, après son vote, déjà unanime, à l'Assemblée nationale en juin. Ce vote à l'identique des deux chambres vaut donc adoption définitive au Parlement.

"Plus qu'un symbole"

"Ce geste est symbolique, mais il est plus qu'un symbole. Il répond à une injustice vieille de plus d'un siècle (...) Il s'agit de rendre à Dreyfus ce qui lui fut inaccessible de son vivant", a salué Alice Rufo, ministre déléguée auprès de la ministre des Armées, au nom du gouvernement.

Cette loi d'élévation, saluée par les descendants du "capitaine Dreyfus", vient s'ajouter à l'instauration d'une journée nationale de commémoration pour la reconnaissance de son innocence, chaque 12 juillet, annoncée cet été par Emmanuel Macron.

En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus est condamné pour trahison et contraint à l'exil sur l'île du Diable en Guyane, sur la base de fausses accusations alimentées par un antisémitisme très ancré dans la société française de la fin du XIXe siècle.

Après une décennie durant laquelle l'affaire connaît un retentissement immense dans le pays et même à l'international, un arrêt de la Cour de cassation l'innocente le 12 juillet 1906, entraînant ipso facto sa réintégration dans l'armée.

"Double peine"

Dans la foulée, une loi le nomme chef d'escadron, un grade qui omet la prise en compte de ses cinq années d'emprisonnement, qui auraient dû lui permettre de prétendre à un échelon supérieur.

Une "injustice" en forme de "double peine", s'émeut auprès de l'AFP Michel Dreyfus, arrière-petit-fils du "capitaine Dreyfus", qui souligne le "courage" de son aïeul, qui revint servir pendant la Première Guerre mondiale.

Malgré le soutien très large qu'elle a rassemblé, cette proposition de loi a suscité des réserves sur certains bancs, dans un contexte de progression des actes antisémites sur le territoire.

Les députés MoDem avaient ainsi craint une "instrumentalisation" de l'affaire à des fins politiques.

Ces objections, très minoritaires, ont été partagées au Sénat dans les rangs des Républicains et des centristes.

"Réparer une erreur manifeste"

Le président LR de la commission des Forces armées, Cédric Perrin, s'est notamment dit "profondément gêné" par "l'opportunité" que ce texte représente pour "certaines formations politiques de s'acheter 'à bon compte' une virginité de façade en matière d'antisémitisme", a-t-il indiqué à l'AFP. Il n'a pas participé au vote jeudi mais avait annoncé vouloir s'abstenir.

"On ne répare pas une faute aussi dramatique que celle qui a eu lieu", a pointé Roger Karoutchi (LR), qui a tout de même voté pour, par "déférence pour la famille".

Emmanuel Macron lui-même avait émis quelques doutes face à l'initiative, en juillet, estimant que "la promotion dans les grades militaires" procédait de "circonstances avérées du temps présent", et que seul le président de la République était le "garant de l'application de cette règle". Tout en concédant que le Parlement serait "souverain".

"Nous réparons au contraire une erreur manifeste qu'avait commise le Parlement lui-même en 1906", rétorque le socialiste Rachid Temal, rapporteur sur ce texte.

Pour la famille d'Alfred Dreyfus, cette loi est "une reconnaissance de la valeur du soldat qu'il était, dans la continuité des travaux qui l'ont réhabilité non pas comme victime passive, mais comme héros", pointe Michel Dreyfus.

"C'est un hommage vertueux, nécessaire mais probablement pas suffisant", appuie Anne-Cécile Lévy, arrière-petite-fille d'Alfred Dreyfus, qui continue d'espérer "une panthéonisation, en reconnaissance de toutes les valeurs qu'il incarne".

Dans la foulée de ce vote, Patrick Kanner et son homologue à l'Assemblée, Boris Vallaud, ont écrit à Emmanuel Macron pour lui demander de panthéoniser Alfred Dreyfus.

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