“Mes parents ont essayé d’expliquer avec leurs mots“ : dix ans après le 13-Novembre, toutes les générations se souviennent

Brut.
13 novembre 2025, Place de la République. Des jeunes, des personnes âgées, venus de Paris, de banlieue ou d’ailleurs, se sont rassemblés tout au long de la journée pour ne pas oublier cette nuit d’horreur, il y a dix ans. Que faisaient-ils ce soir-là ? Quelle importance accorder à la mémoire collective ? Ils témoignent auprès de Brut.
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À l’angle des rues Bichat et Alibert se tiennent deux bistrots parisiens. Leurs noms sont devenus familiers. Le Petit Cambodge et Le Carillon. Les accès sont bloqués, seules les familles des victimes peuvent franchir les barrières Vauban. Les mêmes qui avaient servi, ce soir du 13 novembre 2015, à transporter en urgence certains blessés. 

Après avoir rendu hommage à Manuel Diaz, la seule victime du Stade de France qui avait été soufflée par une explosion, Emmanuel Macron est attendu près des premières terrasses qui ont connu l’effroi ce soir-là. Treize personnes y ont perdu la vie.

"Ce n’est pas un endroit de mort, mais de vie"

À un peu plus de deux kilomètres à l’est, la Place de la République est étrangement silencieuse, malgré les dizaines de personnes réunies pour suivre la cérémonie d'hommage retransmise en direct sur grand écran. 

Une jeune femme habillée de noir, cheveux relevés, observe la scène. Son bras droit ne quitte pas celui de son compagnon. Jade a 24 ans et se souvient en détails de ce qu’elle faisait il y a dix ans. Une soirée entre copines, chez sa maman. Malgré son jeune âge, elle comprend rapidement ce qui s’est passé, car “ma mère ne me cache pas grand-chose”. En cherchant à se renseigner plus tard, elle découvre même la photo glaçante de la salle du Bataclan. “Ça m'a marqué”, reconnaît-elle d’un souffle. “Mais à 15 ans, j’ai fait mon premier concert là-bas. Ça me semblait nécessaire. Ce n’est pas un endroit de mort, mais de vie”.

Chaque année, à la même date, elle vient rendre hommage aux victimes, auxquelles elle s’identifie. “Les salles de concert, les terrasses, ce sont des endroits que je fréquente. Je me dis que ça aurait pu être moi, un ami, ou mon copain…C’est quelque chose qu’il ne faut pas oublier”.

Derrière elle, une femme plus âgée dépose une bougie près de la statue de la République, “pour que la lumière reste”. Brigitte, 65 ans, est venue de Normandie pour faire une itinérance à travers les lieux meurtris. “C’est important de marquer cet anniversaire, les dix ans ont une signification pour les victimes, mais aussi pour nous qui avons été sous le choc”.

Place de la République, Paris, le 13 novembre 2025. Brut.

Ce soir du 13 novembre 2015, Brigitte et son mari reçoivent un appel de leur fils qui est à Paris, ce qu’ils ignorent alors. “Il nous a dit ‘soyez sans crainte, je suis en sécurité’. On ne savait même pas de quoi il parlait !”, raconte-t-elle. “On a allumé la télévision et on a découvert l’ampleur des événements. Notre fils a pu se réfugier chez une amie, heureusement…”.

Si Brigitte a parcouru plusieurs centaines de kilomètres pour assister aux commémorations, François, lui, n’a eu qu’à traverser la rue. À 78 ans, ce Parisien “de très longue date” s’est arrêté par hasard, pour regarder les photos exposées. “Je pense que c’est important de se rappeler, mais je comprends aussi que certaines victimes choisissent de ne pas commémorer”, réfléchit-il à voix haute.

"J'expliquerai tout à mes enfants"

Le soir des attaques, François dînait chez des amis, dans le 3e arrondissement. La télévision et le poste de radio étaient éteints. “Mon fils nous a envoyé un SMS pour demander si on était mort”, se souvient-il avec un léger sourire. Dès le lendemain, il se rend devant le Bataclan, “pour voir”. Depuis, il n’a participé à aucune cérémonie mais il y a quelques semaines, il est allé prendre un pot à la Bonne Bière, “pas parce que c’était ce bistrot précisément, mais parce que c’est dans mon quartier”. Le 13 novembre 2015, à 21h32, cinq personnes y perdaient la vie.

“On se sent appartenir à un groupe”. Emmitouflé dans une écharpe grise malgré la température agréable de la matinée, Guillaume habite dans le Val d’Oise mais tenait à participer aux commémorations. Il n’avait que douze ans le 13 novembre 2015. “Scotché devant la télévision, je me demandais ce qui se passait. Mes parents ont essayé d’expliquer avec leurs mots”, se remémore le jeune homme. En grandissant, il ressent le besoin de comprendre, regarde des documentaires, lit des articles. 

“Maintenant, moi aussi je vais sur les terrasses, comme tous les Français”, explique-t-il, la mine grave. Plus tard, “j’expliquerai tout à mes enfants, pour qu’ils sachent, eux aussi, ce qui s’est passé ce soir-là.”

Les attentats du 13 novembre 2015 ont fait 132 morts et plus de 350 blessés.

Dix ans après, la mémoire perdure. Sur la place de la République, les fleurs déposées par les passants enlacent des dizaines de bougies. Leurs flammes ne sont pas vacillantes, la journée est douce.

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