En costume noir et chemise blanche, le Dr Bonvalot est revenu, parfois ému, sur le passage à l'hôpital de Quimperlé de Joël Le Scouarnec, qui y demande sa mutation à partir de 2006.
Une aubaine pour l'hôpital alors en "grande difficulté", qui pouvait pérenniser par son embauche son pôle chirurgical et sa maternité, explique Dr Bonvalot, à l'époque président de la Commission médicale d'établissement (CME).
Mais, raconte-t-il à la cour, un collègue psychiatre l'appelle début 2006 pour une conversation "totalement surréaliste".
"Il me hurle littéralement au téléphone: 'j'ai expertisé ton chirurgien, Le Scouarnec, c'est un alcoolo, il s'est fait choper par le nouveau logiciel'", raconte-t-il.
Ce "nouveau logiciel", c'est celui du FBI qui a permis de signaler aux autorités françaises près de 2.500 internautes français adeptes de sites pédopornographiques, parmi lesquels Joël Le Scouarnec, condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détention d'images pédopornographiques en octobre 2005 à Vannes, sans interdiction d'exercer ni obligation de soins.
Lorsque le Dr Bonvalot demande "la preuve" de ces propos, il ne reçoit qu'une "coupure de journal" faisant état de la condamnation d'un médecin pour ces faits, sans nommer l'intéressé.
Thierry Bonvalot dit s'être alors trouvé dans "une position insoluble".
Impossible, assure-t-il, d'"aller trouver le chirurgien qui vient sauver la moitié des activités de l'hôpital pour lui demander si à tout hasard il n'a pas été condamné" pour détention d'images pédopornographiques.
Procès Le Scouarnec: l'accusé "totalement responsable de ses actes" selon les psychiatres
"Tu es dangereux"
Craignant d'être "accusé de non confraternité" par l'institution médicale, Dr Bonvalot n'agit pas.
Mais quelques semaines plus tard, un infirmier lui rapporte un incident: Joël Le Scouarnec a "pris la tangente" après une opération anormalement longue sur un enfant.
Presque au même moment, une discussion houleuse l'oppose au chirurgien, qui défend un radiologue de l'hôpital soupçonné de viol -et finalement condamné en 2015 à 18 ans de réclusion pour viols et agressions sexuelles sur 32 femmes, dont huit mineures.
Dr Bonvalot convoque alors Joël Le Scouarnec et lui demande s'il a bien été condamné pour téléchargement de fichiers pédopornographiques. Le chirurgien confirme "immédiatement" puis fait le compte-rendu de l'opération.
"Je l'ai pénétré, je me suis retiré", dit Joël Le Scouarnec --selon Dr Bonvalot-- dans un "festival invraisemblable de métaphores pédophiles", la relatant "comme une relation sexuelle avec l'enfant."
Effaré, le psychiatre lui dit alors "tu es dangereux, tu dois démissionner" mais Joël Le Scouarnec lui rétorque: "vous ne pouvez pas m'y obliger."
Thierry Bonvalot avertit le directeur de l'établissement dans une lettre lue par l'AFP avant le procès, où il met en doute "la capacité du Dr Le Scouarnec à conserver toute sa sérénité lorsqu'il intervient auprès de jeunes enfants".
Il affirme aussi en avoir parlé à quatre reprises avec le maire de l'époque, anesthésiste à l'hôpital. "On a décidé qu'il ne serait pas seul avec les enfants", lui répond-il, d'après Dr Bonvalot.
Le Conseil départemental de l'ordre des médecins du Finistère est également averti, selon un courrier consulté par l'AFP.
"En souffrance"
Face à la cour, à quelques pas de l'accusé, le psychiatre confie avoir "souhaité pendant ces années (s)'être trompé" sur Joël Le Scouarnec, qu'il avait alors identifié comme un "grand pervers".
Un diagnostic confirmé mardi par le psychologue Patrice Lenormand qui a décrit l'accusé comme un "concentré" de perversions sexuelles, un narcissique qui considérait ses victimes comme de simples "objets de satisfaction".
Presque vingt ans après avoir alerté sa direction sur le cas Joël Le Scouarnec, Thierry Bonvalot relate le "choc" et sa "frustration terrible" lorsqu'il apprend que le chirurgien est accusé de violences sexuelles sur 299 patients majoritairement mineurs au moment des faits- dont une trentaine à Quimperlé.
"Je me reproche un petit peu cette situation", dit-il, la voix nouée de larmes.
"Vous semblez culpabiliser", avance la présidente, Aude Buresi.
"Je suis en souffrance", reformule le psychiatre, évoquant son "sentiment d'échec personnel total".
"Je me demande toujours ce que j'aurais dû faire (...) je voudrais présenter mes excuses aux victimes", ajoute-t-il, épuisé après quatre heures d'audience.
Dans son box, Joël Le Scouarnec, lui, se tait.
L’ouverture du procès de Joël Le Scouarnec