Tunisie: de lourdes peines de prison en appel dans le méga-procès pour complot

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Une quarantaine de personnes, dont des figures de l'opposition en Tunisie, ont été condamnées en appel à des peines allant jusqu'à 45 ans de prison dans un procès pour "complot contre la sûreté" de l'État, ont indiqué vendredi plusieurs avocats à l'AFP.
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L'ONG américaine Human Rights Watch a dénoncé "une parodie de justice, un procès politique, inéquitable et sans le début d'une preuve". Son porte-parole régional, Ahmed Benchemsi, a fustigé dans une déclaration à l'AFP une "instrumentalisation éhontée de la justice pour liquider des opposants au président Kaïs Saïed".

Les 37 accusés, dont la majeure partie ont été emprisonnés après leur arrestation au printemps 2023, étaient poursuivis pour "complot contre la sûreté" de l'Etat et "adhésion à un groupe terroriste". 

Ils se sont vu reprocher notamment des rencontres avec des diplomates étrangers.

Les plus connus sont le chef de la principale coalition d'opposition, le Front de salut national (FSN), Jawhar Ben Mbarek, les dirigeants de partis Issam Chebbi et Ghazi Chaouachi, les militants politiques Khayam Turki et Ridha Belhaj et l'homme d'affaires Kamel Letaief. 

Selon une liste compilée par l'avocate Dalila Msaddek qu'a pu voir l'AFP, les accusés emprisonnés ont été condamnés à des peines allant de 10 à 45 ans et un détenu a bénéficié d'un non-lieu.

Pour les prévenus en liberté provisoire ou à l'étranger, des peines allant jusqu'à 35 ans ont été prononcées et deux personnes ont été acquittées dont le directeur de la radio privée Mosaïque FM Noureddine Boutar. 

La militante féministe Bochra Belhaj Hmida et l'intellectuel français Bernard-Henri Levy, jugés par contumace, ont vu leurs peines de 33 ans confirmées en appel. 

"Sans justice"

L'avocat Samir Dilou a dénoncé "des sentences sans plaidoiries (de la défense, ndlr) et sans justice", au terme d'un procès tenu sur trois séances depuis fin octobre. 

En première instance en avril, les accusés avaient été condamnés à de lourdes peines allant jusqu'à 66 ans de prison, après seulement trois audiences et sans plaidoiries. 

Le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk, avait dénoncé "des violations du droit suscitant de graves inquiétudes quant aux motivations politiques". 

En appel, la plus lourde peine a été prononcée contre Kamel Letaief, condamné à 45 ans de réclusion contre 66 ans en première instance tandis que Khayam Turki a été condamné à 35 ans de prison contre 48 ans, selon les avocats.

Ben Mbarek, Chebbi, Belhaj et Chaouachi, tous détenus, ont vu leur peine alourdie à 20 ans de réclusion (contre 18 ans en première instance), tout comme la militante des droits Chaima Issa, qui comparaissait libre. 

Jawhar Ben Mbarek observe une grève de la faim depuis un mois pour protester contre sa détention qu'il a qualifiée d'"arbitraire" et "injuste". Il a reçu "une sentence terrible, je ne sais pas comment le convaincre de lever sa grève de la faim", a déclaré à l'AFP sa soeur l'avocate Dalila Msaddek.

Le cofondateur du FSN avec Jawhar Ben Mbarek, Ahmed Nejib Chebbi, un octogénaire jugé en état de liberté, a écopé d'une peine de 12 ans de prison (contre 18 ans). L'avocat connu Ayachi Hammami a été condamné à 5 ans de réclusion (contre 8).

"En conflit"

Interrogé par l'AFP, Ahmed Nejib Chebbi a qualifié sa peine de "totalement injuste". Les condamnations ont été émises par "des fonctionnaires subordonnés à l'autorité politique du pays", a-t-il estimé, dénonçant "une mascarade judiciaire".

Le verdict du méga-procès montre que "le pouvoir s'affole", a-t-il analysé, soulignant que l'exécutif "est en conflit ouvert avec toutes les élites du pays et tous les partenaires étrangers de la Tunisie". 

Vendredi matin, le président tunisien a dénoncé comme "une ingérence flagrante" une résolution du Parlement européen réclamant "la libération" des détenus pour des délits d'opinion "y compris les prisonniers politiques". 

Mardi, Kaïs Saïed avait convoqué l'ambassadeur européen à Tunis, Giuseppe Perrone, au lendemain d'une rencontre entre ce diplomate et le chef du puissant syndicat UGTT, co-lauréat du Prix Nobel de la Paix 2015 pour son rôle dans la démocratisation de la Tunisie après la révolution de 2011.

Depuis un coup de force de Kaïs Saïed à l'été 2021 par lequel il s'est octroyé les pleins pouvoirs, les ONG tunisiennes et étrangères déplorent un recul des droits et libertés en Tunisie, berceau du Printemps arabe.

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