Un ancien nazi à la tête d’une secte au Chili : l’histoire de la Colonia Dignidad (3/4)

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Paul Schäfer, un ancien caporal SS, s’installe dans un lieu très reculé au Chili avec 300 fidèles et fonde la Colonia Dignidad. Lorsque la dictature de Pinochet s’impose, la colonie se transforme en centre de détention et de torture, au service du régime.
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Épisode 1 : Un ancien nazi à la tête d’une secte au Chili, l’histoire de la Colonia Dignidad
Épisode 2 : Un ancien nazi à la tête d’une secte au Chili, l’histoire de la Colonia Dignidad

Épisode 3/4 : Centre de détention et de torture : la complicité du gouvernement Pinochet 

La situation politique au Chili devient instable. En 1973, l’armée renverse le gouvernement socialiste de Salvador Allende, et le général Augusto Pinochet prend le pouvoir. 

La colonie soutient Augusto Pinochet et son gouvernement militaire. Ils ont comme point commun d’être anti-communistes.

Paul Schäfer dit craindre que les communistes s’emparent de la colonie, il ordonne à ses disciples d’installer des fils déclencheurs de pièges autour du domaine, de construire des tours de surveillance et de barricader les entrées. Les habitants doivent redoubler d’effort, ils travaillent toute la journée, quasiment sans boire ni manger.

Sans le savoir, les colons construisent en réalité leur propre prison.

“Nous étions comme des robots”

Le gourou commande en Allemagne des pistolets et des mitraillettes et fait fabriquer aux habitants des répliques des armes. La colonie est prête à faire la guerre. Sauf que c’est tout autre chose qui se prépare dans le domaine…

“Nous étions comme des robots”, racontent d’anciens habitants auprès d’Arte. La plupart ne comprennent pas ce qu’il se passe. Ils construisent des armes, bâtissent des défenses, soignent gratuitement les Chiliens malades… Paul Schäfer fait en sorte d’occuper ses disciples 24 heures sur 24. Un climat de peur du monde extérieur règne dans la colonie, les habitants croient qu’à l’extérieur, les “autres” sont corrompus et vivent dans le péché. 

Un centre de détention et de torture

Pendant ce temps, à l'extérieur, Augusto Pinochet transforme le pays en une dictature militaire. Le communiste est strictement interdit, les arrestations ont lieu en masse : 13 000 en un an. Tous les opposants politiques sont réprimés. 

Paul Schäfer se rapproche des politiques chiliens. Il se lie d'amitié avec le général Pinochet.  Un accord tacite a lieu entre les deux oppresseurs. Le gourou propose à Augusto Pinochet d’utiliser le vaste terrain de la Colonia Dignidad pour enfermer les prisonniers et les torturer. 

Il fournit aussi des armes allemandes au gouvernement chilien. Tout cela en échange de la certitude d’être protégé contre toute poursuite judiciaire, et que sa secte puisse poursuivre ses activités en toute tranquillité.

Les colons n’ont plus le droit de circuler librement dans la propriété. Ils ignorent l’existence de cette prison, pourtant ils partagent le même terrain qu’eux.

Torturé jusqu’à ne plus tenir debout

Les prisonniers sont amenés dans des lieux à l’écart des habitants de la colonie. Pourtant, certains disent qu’ils entendent quand même leurs cris lorsque les détenus sont torturés. 

Une cave est aménagée pour réaliser en toute discrétion les sévices sur les prisonniers. Les interrogatoires ne sont qu’un prétexte pour leur donner des coups. Des électrodes sont branchées partout sur leur corps, et ils se font électrocuter jusqu’à ne plus pouvoir tenir debout. Beaucoup de personnes ont perdu la vie dans cette cave, mais il est impossible de savoir le nombre de prisonniers qui sont passés dans ces murs. 

Selon les témoignages d’une poignée de prisonniers sortis vivants, Paul Schäfer est bien présent lors des interrogatoires. Il sélectionne même des musiques classiques, qu’il passe en boucle, pour camoufler les cris des prisonniers. Les habitants ne comprennent pas ce qu’il se passe près de chez eux, et n'essayent pas de comprendre, par peur de représailles de Paul Schäfer.

“Un amas de suif, avec des touffes de cheveux”

Pendant ce temps, en Allemage, Amnesty International révèle que la colonie pratique la torture pour le compte du dictateur Augusto Pinochet. Le nom de Paul Schäfer revient sur les titres de la presse internationale. 

Ces accusations extérieures révoltent le gourou, qui propose aux habitants de la colonie de mener une grève de la faim de plusieurs jours. À ce moment-là, le gouvernement allemand commence à s’intéresser à cette fameuse Colonia Dignidad. L’ambassadeur d’allemagne au Chili décide de leur rendre visite, pour voir ce qu’il se passe dans ce lieu opaque.

Avant son arrivée, Paul Schäfer demande à Willi Malessa, un des habitants, de “faire le ménage”. Le jeune homme ne comprend pas vraiment, mais se plie à ses ordres. “On aurait dit un amas de suif, comme de la graisse blanche, avec des touffes de cheveux”, témoigne-t-il auprès d’Arte. Il brûle et enterre les cadavres, sans comprendre réellement pourquoi il fait cela.

Lorsque l'ambassadeur arrive et demande comment vont les habitants, chacun récite son texte appris par cœur. Un texte que l’ambassadeur est tout prêt à entendre, puisque c’est Paul Schäfer qui l’approvisionne, chaque semaine, en saucisse, pain, fromage et gâteau. De retour à l’ambassade, le diplomate explique au gouvernement allemand que les accusations de tortures et d’abus sexuels sont injustifiées. 

Les politiques allemands ferment les yeux sur ce qu’il se passe dans la Colonia Dignidad. Mais en 1991, le vent tourne… Augusto Pinochet n’est plus au pouvoir au Chili, la colonie n’est plus protégée par le gouvernement et Paul Schäfer commence à perdre son principal atout : la loi du silence.

L’épisode 4/4 disponible demain.

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