Le 14 janvier dernier, Charlie Dalin pulvérise le record du Vendée Globe de presque 10 jours, bouclant son tour du monde en 64 jours.
Quand il remonte à la proue de son voilier le chenal des Sables d'Olonne, tout sourire sous des traits tirés, personne n'imagine que le marin vient de triompher de la plus difficile des courses en solitaire avec "un intrus à bord", une rare tumeur gastro-intestinale.
Avant la parution jeudi de son livre "La Force du Destin" (Gallimard), le navigateur havrais, qui lutte toujours contre la maladie, s'est longuement confié à l'AFP sur cet exploit qui défie l'entendement.
"L'impression de me prendre un bus"
Automne 2023. Charlie Dalin, alors âgé de 39 ans, s'apprête à prendre le départ au Havre de la Transat Jacques Vabre. Voilà deux ans qu'il enchaîne les très bons résultats et figure parmi les favoris de la course. Gêné par de violents maux de ventre depuis plusieurs semaines, il attend les résultats d'un scanner.
"Cela prend plus de temps que prévu, je trouve ça bizarre. J'étais encore en train de préparer la course, je faisais des routages météo sur mon ordinateur dans la salle d'attente de l'hôpital de Quimper", se rappelle le navigateur.
Des examens plus poussés révèlent la présence d'une tumeur stromale gastro-intestinale (GIST) d'une quinzaine de centimètres.
"J'ai eu l'impression de me prendre un bus", confie-t-il, ému, deux ans plus tard. "Je ne pense plus du tout au sport. Je pense à ma famille, à mon fils, à ma femme. Je me demande si je vais vivre, si je vais voir mes 40 ans."
Espoir
Il doit renoncer à la Transat Jacques Vabre et consulte à plusieurs reprises un éminent professeur à l'Institut Gustave-Roussy à Paris. On lui prescrit un traitement d'immunothérapie qui s'avère efficace.
"Je lui ai parlé de mon projet. Il m'a dit : 'j'ai des sportifs de haut niveau qui prennent ce traitement et continuent leur carrière. Pour moi, le Vendée, ça peut le faire'. Cela m'a donné un immense espoir", précise Dalin.
Avec le soutien des rares proches au courant de sa situation, il décide de repartir à la conquête du graal des marins hauturiers, qui lui avait échappé d'un rien en 2021, quand il avait terminé 2e derrière Yannick Bestaven.
"Lors de mon premier gros test sur The Transat en avril 2024, j'étais très fatigué, je doutais : était-ce le traitement, la tumeur, le manque d'entraînement, les trois ?", s'interroge-t-il.
Il fait du sommeil et de la récupération ses priorités et réussit à remporter cette transatlantique, avec 17 heures d'avance sur ses concurrents.
"Chaque moment libre, je l'utilisais pour dormir"
Le matin du 10 novembre 2024, il est le premier marin à quitter le ponton pour son deuxième tour du monde. Un nouveau scanner quelques jours plus tôt montre que la tumeur "n'a pas évolué". Charlie Dalin embarque plusieurs mois de traitements.
"J'étais déterminé, mais vraiment détendu. Les conditions météo, les options ratées, ce n'étaient plus de vrais problèmes par rapport à ma santé. On a partagé un beau moment avec Oscar (son fils) et Perrine (sa femme) sur le ponton", se rappelle-t-il.
"La maladie m'a aussi fait relativiser. Pouvoir m'élancer, c'était déjà une victoire. On le dit souvent mais dans mon cas cela n'a jamais été aussi vrai", estime-t-il.
Une fois au large, le sens marin prend le dessus. L'épopée peut vraiment commencer: malgré la fatigue de l'amarinage, il s'accroche et passe Bonne-Espérance en tête.
"J'ai appliqué ma stratégie, en dormant en moyenne 6 h 30 par 24 h, c'est plus que sur mon premier Vendée. Pas de distraction à bord, chaque moment libre, je l'utilisais pour dormir", raconte-t-il.
Il a également adapté son alimentation et l'agencement de l'intérieur du voilier: "Dès que je peux, je me jette dans la bannette pour récupérer, pour gérer la fatigue. Tout est proche dans le bateau, c'était super bien pensé."
En pleine tempête
Pour autant, l'océan ne lui laisse aucun répit. En plein Indien, il file à l'avant d'une gigantesque tempête qui menace de réduire en miettes son monocoque. Charlie Dalin se refuse à la contourner, ce que feront quasiment tous ses concurrents, bientôt distancés.
"C'était une décision compliquée", avoue-t-il. La maladie a-t-elle joué un rôle dans sa prise de risque ? "Je ne pense pas. Avoir déjà fait le Vendée m'a aidé à démystifier les mers du Sud".
Seul Yoann Richomme, ami de longue date, s'accroche au train d'enfer imprimé par Dalin lors de la remontée vers Les Sables-d'Olonne. À bord, Charlie continue d'ingérer sa pilule quotidiennement, de monitorer chaque précieuse minute de sommeil.
"J'ai eu des douleurs au ventre, je me suis juste dit : tu n'as pas le temps de t'occuper de ça. Les douleurs repartaient aussi vite qu'elles étaient arrivées. Quand je suis revenu à terre je l'avais presque oublié", avance le navigateur.
De l'apogée à "un moment très difficile"
Lors de la conférence de presse du vainqueur aux Sables-d'Olonne en janvier, il hésite à évoquer sa situation mais renonce: "J'avais envie de savourer tout simplement. Je pense que ça aurait cannibalisé le moment."
"Et puis... je crois aussi que je n'étais peut-être pas prêt", admet-il finalement. Car pendant sa traversée, une forme de parenthèse enchantée, la tumeur a "progressé un peu"... Les douleurs au ventre reviennent. Il se fait opérer en février.
"Je suis passé de l'apogée de ma carrière sportive à un moment très difficile, très douloureux. Je venais de faire un tour du monde et un mois plus tard mon objectif était de réussir à faire le tour du service", se souvient Dalin.
Près d'un an plus tard, alors qu'il combat toujours la maladie, le skipper normand a encore du mal à réaliser : "C'est sûr que ça compliquait un peu la tâche d'avoir cet intrus à bord. Aujourd'hui je vois ça comme une double victoire, sur la course et surtout sur tout ce qui m'est arrivé".