Les algues vertes, une menace ?

D’où viennent-elles ? Pourquoi sont-elles controversées ? Brut et Balade Mentale vous expliquent le phénomène des algues vertes. Réalisé par Lucas Wicky et Juliette Gunther.

C’est quoi, le danger des algues vertes ?


Théo, de la chaîne YouTube « Balade mentale », nous emmène sur les côtes bretonnes pour décortiquer ces phénomène.


Vous avez déjà sûrement entendu parler d’un phénomène qui revient chaque année sur certaines côtes bretonnes : les algues vertes. D’où viennent-elles ? Pourquoi sont-elles si controversées ? Théo, de la chaîne YouTube « Balade mentale », analyse ce phénomène.


Agriculture intensive : plus de nitrates dans les sols, dans les rivières et dans les océans


Tout commence à la fin des années 1960. À l’été 1968, dans les baies de Lannion et de Saint-Brieuc, apparaissent pour la première fois, échouées sur les plages, des nappes d'algues vertes. En séchant au soleil, elles dégagent une odeur pestilentielle qui fait fuir les touristes. Le phénomène touche ensuite, progressivement, de nouvelles zones. Aujourd'hui encore, il est toujours en pleine croissance.


En 1988, après trois ans d’études, deux chercheurs de l'Ifremer, Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, pointent la responsabilité des nitrates issus des engrais agricoles et des élevages porcins. L’agriculture devient à cette époque plus intensive en Bretagne. Il y a donc plus de nitrates dans les sols, puis dans les rivières, et enfin dans les océans.


En 1898, un joggeur de 26 ans est retrouvé mort dans un amas d'algues vertes


Pour ces chercheurs, ces nitrates seraient la cause d’un développement important des algues vertes. Mais leurs conclusions ne font pas l’unanimité… « Les élus ont eu une réaction très étrange. Une réaction de gêne, de silence. Ils leur ont finalement dit que ce n’était pas possible, qu'il fallait revoir ces conclusions et que d'après leurs propres études, les algues vertes seraient plutôt liées au phosphate émis par les stations d'épuration des villes », raconte Inès Léraud, journaliste spécialisée.


L’histoire continue quand, en 1989, le journal Ouest-France publie un article intitulé « Les algues vertes ont peut-être tué ». Quelques jours plus tôt, un joggeur de 26 ans est retrouvé mort dans un amas d'algues vertes. Conduit à l'hôpital, il est pris en charge par Pierre Philippe, un médecin urgentiste. C'est la première fois qu'on parle d’un danger toxique des algues vertes. « Pierre Philippe va ouvrir la housse et il se rendre compte qu’il ne peut pas réaliser d'examens tellement l'odeur est insupportable. Cette odeur, n’est pas du tout liée à l'état du corps, qui est frais, mais à l'état des algues », explique Inès Léraud.


Les algues vertes forment une croûte sous laquelle se développe un gaz toxique, l'hydrogène sulfuré


L’urgentiste pense que le jeune homme est peut-être mort à cause du gaz nauséabond qui se dégage de ces algues. Il demande une autopsie dont il n'aura jamais les résultats. Les années passent, et Pierre Philippe recense plusieurs morts suspectes et plusieurs cas d’évanouissements ou de comas. Il sonne l’alerte auprès de l’Agence régionale de santé – à l’époque la Dass – et après du centre antipoison de Rennes, mais il n’a pas réponse. Il insiste, mais on lui rétorque qu’il n’y a jamais eu de cas recensé, et qu’il n’existe donc aucune raison de penser que ce cas soit relié aux algues vertes.


Lorsqu’elles sèchent, les algues vertes forment une croûte sous laquelle se développe un gaz toxique, l'hydrogène sulfuré. Si ce gaz toxique est libéré et inhalé à forte dose, il peut entraîner une perte de connaissance, voire la mort. Au fil des années, plusieurs intoxications potentielles d'humains et d'animaux sont signalées, mais aucune n’a jamais vraiment été prise en compte. Jusqu’en 2009, où un cavalier évanoui et son cheval, mort, sont retrouvés sur une plage de Saint-Michel-en-Grève. « Ça s'est passé en moins de 30 secondes. J'ai vu mon cheval qui arrêtait de ventiler, qui mourait de manière extrêmement rapide et moi, dans la foulée, je me suis évanoui », témoigne à l’époque le cavalier. Le cheval présente un taux explosif d'hydrogène sulfuré dans un de ses poumon.


Un « plan algues vertes » est annoncé en 2009


Face à la médiatisation de l'affaire, quatre ministres se rendent sur le lieu de l'accident. Pour la première fois, la ministre de l'Environnement, Chantal Jouanno, indique qu’elle a demandé des analyses aux scientifiques. Ces analyses révèlent que les doses d'hydrogène sulfuré retrouvées à l’endroit où est mort le cheval sont le double des doses mortelles. « Je suis étonnée par le nombre d'années, pendant lesquelles on a joué la politique de l'autruche. Il faut que ça cesse », s’insurge Chantal Jouanno.


Pour résoudre le problème, un « plan algues vertes » est annoncé en 2009. Il doit d’un côté permettre le ramassage systématique des algues vertes sur les plages pour éviter de nouvelles intoxications, et de l’autre s’attaquer à la source en réduisant les rejets de nitrates par l’agriculture.


Le 20 août 2009, le Premier ministre François Fillon déclare : « Il faut nettoyer les plages, et c'est ce que nous allons faire. L'État va prendre à sa charge le nettoyage des plages les plus touchées, de manière à ce qu'il n'y ait plus de problèmes de santé publique. Nous avons pris, avec les agriculteurs, des engagements extrêmement précis de réductions considérables des intrants agricoles. »


En 2011, 36 sangliers, cinq ragondins et un blaireau sont découverts morts


Deux ans plus tard, en 2011, 36 sangliers, cinq ragondins et un blaireau sont découverts morts aux abords de l'estuaire du Gouessant. Les algues vertes sont de nouveau pointées du doigt. « Alors que tous les éléments convergent vers le fait que l'hydrogène sulfuré soit bien la cause de ce décès collectif, comme le diront deux instituts scientifiques, l'Ineris et l'Anses, l'administration et notamment la préfecture des Côtes-d'Armor, va sans cesse mettre en doute ces conclusions scientifiques et dire qu'on ne sait pas à quoi sont liées ces morts collectives d'animaux », se souvient Inès Léraud.


Pour se défendre face à de nouvelles critiques qui visent l'agriculture intensive, un syndicat agricole organise un match de foot sur une plage proche pour prouver qu’il n’y a aucun risque. « Les agriculteurs, mais surtout les décideurs économiques du monde agricole, les responsables de l'agroalimentaire, vont, par différents moyens, essayer de maîtriser le discours sur les algues vertes, de créer un contre-discours, de produire du doute en disant : "Ces algues vertes, on ne sait pas exactement d'où elles viennent" », analyse Inès Léraud.


Le 8 septembre 2011, un nouveau joggeur est retrouvé mort


En 2016, un deuxième « plan algues vertes » est annoncé. Il est censé durer jusqu’en 2021. Mais le 8 septembre de la même année, un nouveau joggeur est retrouvé mort dans l'estuaire du Gouessant. L'homme de 50 ans serait décédé en tentant d'aller au secours de son chien. « Sur cette affaire, rien n'a été fait ! Pas de prise de sang ! Simplement l'autopsie après, suite à notre demande. Or, il aurait fallu que la prise de sang soit faite, comme quand il y a un accident sur la route », déplore à l’époque André Ollivro, président de l'association Halte aux marées vertes.


Mais cette autopsie n’a aucun intérêt, affirme Inès Létaud. Et pour cause : « Des semaines après le décès, il n'est plus possible de savoir d'où provient l'hydrogène sulfuré. Le corps en putréfaction, lui-même, produit de l'hydrogène sulfuré. Il y a un paradoxe qui surgit, c'est que le procureur de Saint-Brieuc va dire au terme de deux mois qu'aucun lien ne peut être fait entre les algues vertes et la mort de ce joggeur. Mais dans le même temps, il va demander aux mairies de mettre des panneaux pour dire que cet endroit, l'estuaire du Gouessant, est très dangereux. »


Le 6 juillet 2019, un ostréiculteur meurt brutalement dans la baie de Morlaix


Trois ans plus tard, le 6 juillet 2019, un ostréiculteur meurt brutalement dans la baie de Morlaix. Plusieurs associations mettent de nouveau en cause les algues vertes. Pourtant, une analyse poussée va écarter cette théorie. « Il faut arrêter de dire : "Il y a 3 m² d'algues vertes fraîches sur la plage, on va tous mourir." Il faut arrêter ce délire. A contrario, il ne faut pas être dans la dénégation du fait que si vous avez de grands amas en putréfaction, cela présente des risques, cela va de soi », réagit sur le moment Pascal Lelarge, préfet du Finistère.


Le système de ramassage mis en place n'arrive pas à venir à bout de ces algues vertes, et les mairies sont obligées de fermer certaines plages sur leur commune. Un nombre exceptionnel de plages sont fermées cette année en Bretagne. Et les centres de traitement des algues vertes n'arrivent pas à en venir à bout. Le centre de traitement de Lantic est obligé de fermer, et des algues des Côtes-d'Armor sont épandues dans les champs.


« Il faudrait que dans les cours d'eau bretons, les taux de nitrates soient de 10 mg par litre d'eau »


« Pour que les algues vertes diminuent de moitié, il faudrait que dans les cours d'eau bretons, les taux de nitrates soient de 10 mg par litre d'eau, estime Inès Léraud. Or aujourd'hui, ils sont autour de 30 mg par litre d'eau, et on voit que ça fait des années et des années que la Bretagne dit : "On va atteindre ces 10 mg par litre d'eau, mais il faut nous laisser plus de temps, il faut nous laisser des délais plus longs." » Dernièrement, la FNSEA, le principal syndicat agricole, a même affirmé qu’on avait déjà beaucoup réduit les taux les nitrates, et qu’il était temps de laisser les agriculteurs tranquilles.


L’été 2019, les plages bretonnes ont été de nouveau envahies par les algues vertes. Certains endroits ont été interdits d’accès, notamment dans la baie de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor. Les plans de lutte contre les algues vertes ont permis de réduire la concentration en nitrates dans les eaux bretonnes, mais pas suffisamment aux yeux des défenseurs de l’environnement. Aussi l’association « Halte aux marées vertes » a-t-elle lancé une pétition contre la prolifération de ces algues. Elle réclame un changement radical du modèle agricole breton.


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