Karfa Diallo se bat pour que des villes reconnaissent leurs noms de rues racistes

En France, de nombreuses rues portent ces noms… Mais les a-t-on bien regardés ? Karfa Diallo se bat depuis 20 ans pour que des municipalités reconnaissent leur symbolique raciste.

À Bordeaux, il se bat pour débaptiser les symboles du racisme sur les murs de la ville


Dans plusieurs villes de France, dont Bordeaux, des rues portent encore le nom de personnages racistes ou esclavagistes. Karfa Diallo lutte pour faire reconnaître cette injustice.


C’est à l’angle de la rue David Gradis et de la rue Paul Broca, à Bordeaux, que Brut retrouve Karfa Diallo, fondateur du mouvement d’éducation populaire Mémoires & partages. Deux noms, deux symboles du racisme français. « David Gradis était un armateur négrier qui s’est enrichi grâce à la traite des Noirs. Il a armé des bateaux qui sont partis en Afrique acheter des captifs Africains pour les vendre en Amérique. Il doit une partie importante de sa fortune à la traite des Noirs », indique-t-il.


« Depuis le code noir jusqu’à aujourd’hui, nous avons les mêmes techniques de brutalisation des corps des Noirs »


Débaptiser les symboles du racisme sur les murs de France, c’est le combat que mène Karfa Diallo depuis plus de 20 ans. Il poursuit : « Paul Broca fait quant à lui partie de ceux qui, au XIXe siècle, ont tenté de justifier scientifiquement le racisme. Selon ce médecin bordelais – honoré à l’université de Bordeaux par un amphithéâtre à son nom – la masse encéphale des Blancs étant supérieure à celle des Noirs, les Blancs sont supérieurs aux Noirs. »


Pour Karfa Diallo, il est impossible de comprendre le racisme d’aujourd’hui si on ne prend pas du recul sur la situation – pas si lointaine – de la France. « Nous ne voyons pas que depuis le code noir jusqu’à aujourd’hui, nous avons des techniques de brutalisation des corps des Noirs qui continuent encore à exister », affirme-t-il.


« Le changement de nom, la débaptisation ou bien des panneaux explicatifs… Tout sauf l’indifférence »


Pour autant, il n’estime pas qu’il faille forcément changer le nom des rues, mais au moins les contextualiser. « Pour nous, le changement de nom, la débaptisation ou bien des panneaux explicatifs… Tout sauf l’indifférence. On ne peut plus laisser ces symboles d’une histoire raciste, colonialiste, esclavagiste, d’une histoire de brutalisation des corps des Noirs. Nous faisons confiance au génie humain, au génie français pour qu’on trouve des solutions. »


Mercredi 10 juin, cinq plaques ont été posées pour rappeler les traces de l’esclavagisme à Bordeaux dans des rues portant les noms d’anciens armateurs négriers. C’est l’une des conséquences directes du mouvement Black Lives Matter, qui a débuté aux États-Unis. « Il y a à Bordeaux une concentration extrêmement importante de signes de ce passé dont aucun Français ne veut aujourd’hui. Il y a une vingtaine de rues, de places qui honorent des personnalités dont la fortune, dont la prospérité s’est faite sur les Africains et sur leurs descendants », s’insurge Karfa Diallo.


Bordeaux était le deuxième port négrier français


Dans la ville, les noms de rues ne sont d’ailleurs pas les seuls symboles coloniaux encore visibles. Sur plusieurs immeubles en effet, on retrouve des mascarons créoles, des visages d’esclaves sculptés dans la pierre. « C’était une véritable mode architecturale au XVIIIe siècle. Les Bordelais étaient très fiers de marquer dans la pierre le souvenir de leurs propriétés dans les colonies. Les Noirs faisant partis des biens des Bordelais. »


Au temps du commerce triangulaire, la ville de Bordeaux était en effet le deuxième port négrier français après Nantes. « Les bateaux quittaient l’Europe, Bordeaux par exemple, puis allaient en Afrique acheter des captifs africains à un certain nombre de chefs corrompus complices du système, et allaient vendre ces esclaves en Amérique. Ils revenaient ensuite d’Amérique avec les produits coloniaux », explique Karfa Diallo. 1700 bateaux ont ainsi quitté les rives de la Loire, 500 ont quitté Bordeaux.


« Une bourgeoisie qui a fait sa prospérité sur le sang, la sueur des Africains »


« On a à Bordeaux une bourgeoisie qui a fait sa prospérité sur le sang, la sueur des Africains et de leurs descendants. C’est une bourgeoisie qui a eu beaucoup de mal à reconnaître ce passé-là, à faire sa place dans les référents culturels, dans les référents politiques en termes d’intégration et de lutte contre les discriminations », note Karfa Diallo.


Pour Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux chargé de l’Égalité et la Citoyenneté, cette question a en effet été très longtemps tabou. « D’autant que dans la traite négrière, on peut identifier qui sont les négriers. Mais Bordeaux a surtout été un port colonial. Et dans le cadre du commerce colonial, c’est toute une ville qui s’enrichit », analyse l’adjoint au maire. Marik Fetouh décrit notamment une « une chape de plomb, une responsabilité un peu collective » qui pèse sur Bordeaux.


« Bordeaux, Nantes, La Rochelle, Le Havre, le quartier de la Négresse à Biarritz… »


Ces dernières semaines, à l’image de la statue du marchand négrier anglais Edward Colston renversée à Bristol, les symboles des personnages accusés de racisme sont dénoncés partout dans le monde. « Il y a un aspect que nous n’avons pas suffisamment pris en compte, c’est la trace du racisme dans l’espace public. C’est l’espace public qu’il faut aujourd’hui décoloniser. Des rues dans des villes comme Bordeaux, Nantes, La Rochelle, Le Havre, un quartier comme la Négresse à Biarritz… Pendant des décennies, nous avons accepté que ces symboles du racisme continuent à exister », constate Karfa Diallo.


D’après lui toutefois, la jeunesse du monde entier est en train de réaliser cette empreinte encore forte de l’héritage colonial. « Partout, les jeunes lèvent les yeux, regardent leurs murs, regardent les rues de leur ville et se rendent compte qu’ils n’avaient pas suffisamment regardé, qu’ils n’avaient pas suffisamment vu ces symboles du racisme. Ils veulent que ces symboles du racisme soient expliqués ou débaptisés. »


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Brut.