Carmen Maria Vega a été victime d'un trafic d'enfants
Carmen Maria Vega, victime d’un trafic d’enfants
Ses parents l’ont adoptée quand elle avait 9 mois. Ils ne savaient pas que sa mère biologique, guatémaltèque, était encore en vie et la cherchait.
« Je leur ait dit frontalement : ‘’Écoutez les parents, désolée, il semblerait que vous m’ayez achetée. Je comprends que vous ayez du mal à l’admettre, mais cette histoire, c’est vraiment la nôtre. Il faut que ça rentre dans nos cerveaux à nous trois : on a été victimes, ensemble, d’un trafic d’enfants.’’ » Carmen Maria Vega a été adoptée à l’âge de 9 mois par une famille française. En 2011, elle décide de partir au Guatemala, son pays d’origine, sur les traces de sa mère biologique.
« Je pars en ne sachant rien »
« On nous avait dit que ma mère était activiste. J'ai grandi avec ce fantasme génial d’une mère héroïne, féministe, qui combat la guérilla et la dictature. Ça devient un leitmotiv de comprendre, et puis, un jour, de partir. Mes parents me soutiennent, parce qu’ils sentent bien que de toute façon, tant que je n’aurai pas les réponses, je ne pourrai pas finir d’être ‘’construite’’ psychologiquement et assumer qui je suis complètement. Alors je pars, en ne sachant rien, à part cette identité : ‘’Carmen Maria Vega. Née : Colonia El Limon, zone 18, de Madame Vega et de père inconnu.’’ »
Avant son départ, elle entre en contact avec Vincent Simon, le porte-parole de l’activiste guatémaltèque Rigoberta Menchu. Avec lui, elle parcourt le pays, et va jusqu’au Honduras.
« C’est extrêmement banal. Il y a eu des milliers de morts, et des fosses communes sont tout juste réouvertes aujourd’hui. On récupère les ossements, on fait des prélèvements ADN, et si jamais on retrouve des ossements qui matchent avec notre code génétique, on nous prévient. Au fond de moi, je sentais qu’elle n’était pas morte. Il ne fallait rien lâcher. »
« C’est vraiment un quartier ultra violent »
Pendant plus de 30 ans, le Guatemala a été ravagé par une guerre civile opposant le gouvernement à des guérillas marxistes. Des milliers de personnes ont été assassinées ou ont disparu.
« On se retrouve à terme dans ce quartier, qui est le plus dangereux de la capitale : Colonia El Limon, dans la zone 18, là où je suis née. C’est vraiment un quartier ultra violent. Et on a la chance incroyable de tomber sur des femmes actives dans la colonie, qui nous aident car elles sentent vraiment l’urgence. »
Sa mère ne l’a pas abandonnée
Après 12 jours de recherches, Carmen découvre que sa mère vit désormais en Belgique et décide de partir à sa rencontre. Elle découvre alors que sa mère ne l’a pas abandonnée, mais souhaitait la placer temporairement, le temps de trouver un emploi.
« *Elle n’est pas du tout activiste, cette personne. C’est juste une mère célibataire dans le besoin, à qui on a retourné la tête. Elle, elle retrouve un bébé qui avait 9 mois… Évidemment, j’ai 25 ans, je ne suis plus un bébé. Elle me couvre de bisous, de câlins, elle m’embrasse sur la bouche, c’est très… J’ai pas du tout les codes. Moi, j’ai été élevée à la Lyonnaise, on se disait : *‘’Ça va, ma gueule ?’’ On se donnait des coups de coude pour se dire qu’on s’aimait. Je ne sais pas lui répondre à ce moment-là. »
« J’ai un grand frère, en plus ! Je me retrouve avec un grand frère que je découvre à ce moment-là. Même mes parents adoptifs sont sidérés, parce qu’ils ont affirmé à l’association Hacer Puente, qui a réalisé mon adoption en Belgique : ’’S’il y a un frère, une sœur, s’il y a plusieurs frères, plusieurs sœurs, nous, on ne casse pas une fratrie, c’est trop traumatisant. Et puis, on a envie d’avoir une famille nombreuse, donc, évidemment, vous nous dites s’il y a plusieurs enfants.’’ Et l’association a juré qu’il n’y avait pas de frères et sœurs. »
Aujourd’hui, elle poursuit l’association belge Hacer Puente en justice.
Dans Le Chant du bouc, Carmen Maria Vega raconte son histoire, mais aussi celle du Guatemala. Aujourd’hui, avec d’autres victimes, elle poursuit l’association belge Hacer Puente en justice.
« On se rend compte qu’il y a eu 30.000 adoptions en tout et pour tout, et 8.000 vols. C’est énorme. Comment on compose avec ça ? Il faut l’admettre, et ça n’a pas été facile. Il a fallu trois ans pour que mes parents admettent que cette histoire n’est pas que la mienne, mais la nôtre. Je trouve ça important que les faits soient reconnus. Après, mon regard sur l’adoption n’a pas changé : mes parents m’ont aussi sauvée, quelque part, d’une vie pénible au Guatemala. »
« Enfin, sauvée… Est-ce qu’on peut parler de sauvetage alors qu’on leur a menti et que c’était un trafic ? En tout cas, je suis toujours pour que les adoptions aient lieu, je suis hyper pour que les ONG fassent bien leur boulot et vérifient toujours le pourquoi du comment, vérifient que les mères sont d’accord et ne peuvent pas faire autrement. Mais le problème, c’est qu’il y a des guerres partout, et que dans toutes les guerres, il y a des trafics d’humains. Donc c’est très compliqué à vérifier. »