La photo de cette famille décédée dans le désert tunisien a fait le tour du monde, le père témoigne
Aller en Tunisie pour offrir une éducation scolaire à leur fille
“J'aurais préféré mourir avec elles. J'aurais préféré peut-être qu'on découvre trois cadavres dans le désert.” Cette photo a fait le tour du monde. Il s’agit d’une femme et sa fille de 6 ans, mortes de soif dans le désert libyen après leur expulsion de Tunisie. Elles s'appelaient Fati et Marie. Le père de famille, Mbengue Nyimbilo Crepin, témoigne.
“Après plusieurs tentatives de traversée, sans succès bien sûr, nous avons tenté d'aller en Tunisie pour essayer d'inscrire l'enfant dans une école, parce que depuis qu'elle est née, jusqu'à son décès, elle n'a jamais connu d'éducation scolaire, donc c'est la raison pour laquelle nous partions en Tunisie. Nous nous sommes fait intercepter par les policiers tunisiens, ils nous ont frappés et ils nous ont demandé de retourner d'où on vient. Donc nous avons fait demi-tour, et aller au désert, c'est de là où nous avons passé toute la journée sous le soleil. Et la nuit tombée, certains parmi nous ont dit : ‘Ce n'est pas évident de faire demi-tour, vu que nous sommes déjà presque arrivés, c'est mieux d'essayer de pénétrer, de traverser la frontière.’ Et à ce poste, nous avons trouvé d'autres Subsahariens, une dizaine. J'ai supposé qu'on les a interceptés la veille. Donc, ils nous ont frappés, ils nous ont fouillés et après, ils nous ont abandonnés, là, sous le soleil.”
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“Elles étaient tout pour moi”
Sans téléphone, ni nourriture, la famille se retrouve dans le désert. “Il n'y avait pas d'enclos où nous abriter, dans la cour, sur le sable. Ils ont récupéré nos téléphones et nos pièces d'identité, nos téléphones qu'ils ont cassés devant nous, mais ma femme avait le sien, vu qu'elle avait réussi à le cacher dans son soutien. Ils ont roulé pratiquement trente minutes et ils sont allés nous laisser au désert. Là, il y avait un creux. Ils nous ont demandé d'entrer dans le creux, d'essayer de monter, et de l'autre côté, c'était déjà le territoire libyen, c'est ce qu'ils nous ont dit. Et une fois de ce côté-là, ils nous ont menacés avec des armes, de partir. Une fois au désert, avec les autres, moi, j'étais à bout, vu que ça faisait quatre jours de marche, sans pouvoir manger, sans nous hydrater, donc à peine 30 minutes de marche au désert, moi, je me suis écroulé. Je me suis écroulé, vu que je n'avais plus de force.”
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Sa femme et sa fille sont restés à ses côtés. “Nous nous sommes mis à pleurer tous les trois. Elle me demande d'essayer de me lever, de continuer avec elle. Vu que c'était dur, je ne pouvais pas continuer, je sentais que c'était fini pour moi. Dans ma tête, c'était la mort. J'ai demandé à ma femme de partir, de me laisser, d'essayer de sauver au moins l'enfant, de rattraper l'autre groupe si elle pouvait les rejoindre, et si Dieu le veut, on va se retrouver en Libye. Jusqu'à présent, je n'arrive pas à dormir.” Il explique que ces images lui hantent l’esprit. “J'avais certaines pensées qui me traversaient l'esprit. Ces années passées ensemble, je ne saurais les raconter en quelques mots, mais pour moi, c'est mon esprit qui est mort. C'est juste mon corps qui est présent, sinon mon esprit n'y est plus. Elles sont parties avec mon âme. Je n'ai plus envie de rien. Rien. Elles avaient toujours tendance à me dire: ‘Non, ne te décourage pas, nous atteindrons nos objectifs.’ C'était tellement source de motivation, en fait. Elles étaient tout pour moi.”
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