Que prévoit le texte ?
Il propose que la France reconnaisse sa politique de discrimination à l'encontre des personnes homosexuelles entre 1942 et 1982, basée sur deux articles du code pénal, l'un établissant un âge spécifique de consentement pour les relations homosexuelles et l'autre aggravant la répression de l'outrage public à la pudeur lorsqu'il est commis par deux personnes de même sexe.
Il prévoit également de créer une commission indépendante afin d'accorder aux personnes condamnées, une allocation de 10.000 euros, assortis de 150 euros par jour de privation de liberté.
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En première lecture, les sénateurs avaient refusé d'accorder une réparation financière en raison de "difficultés juridiques", mais le principe a été rétabli ensuite par les députés.
A l'origine du texte, le sénateur socialiste Hussein Bourgi dénonce la "violence symbolique" de la part de ceux qui rejettent l'indemnisation: "pourquoi refuse-t-on à des personnes LGBT ce qu'on a accordé, à juste titre, à d'autres victimes de mauvais traitements ?", interroge-t-il. La France indemnise notamment les harkis, ces Français musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), abandonnés à la fin du conflit.
La France se penche "très tard" sur le sujet de réparation des personnes homosexuelles, de nombreux pays ont déjà voté de telles lois qui s'accompagnent "d'actions concrètes", souligne Antoine Idier, sociologue et historien. L'Allemagne, par exemple, indemnise les victimes et finance des recherches et programmes culturels LGBT+.
Combien de personnes sont concernées ?
Le nombre de personnes éligibles à une réparation pourrait se situer entre 200, comme en Espagne, et 400, comme en Allemagne, avaient estimé les députés en mars 2024 lors des débats sur le texte. Le sénateur Hussein Bourgi a indiqué à l'AFP avoir été contacté par "à peine quelques personnes" concernées.
Nombre d'entre elles sont très âgées. Elles ne sont pas en capacité ou ne souhaitent pas revenir sur un épisode douloureux de leur vie. Car à l'époque, une condamnation pour homosexualité pouvait ruiner la vie sociale et professionnelle. Surtout, la majorité des concernés sont déjà décédés.
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En France, environ 10.000 condamnations ont été prononcées en vertu de l'article qui établissait un âge de consentement spécifique, et environ 40.000 pour le motif d'outrage public à la pudeur homosexuel, selon Régis Schlagdenhauffen, maître de conférences à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il mène des recherches pour "affiner ces estimations car certains territoires menaient des politiques particulières", la surveillance des personnes homosexuelles par la police y était forte et les "dénonciations" nombreuses, explique-t-il à l'AFP.
D'autres textes de loi ont également permis de réprimer l'homosexualité en France.
Les personnes condamnées étaient principalement des hommes qui s'acquittaient d'amende ou de peine de prison.
Qu'en pensent les associations ?
Les associations voient la proposition de loi d'un bon oeil, bien que certaines émettent quelques bémols.
Pour Stéphane Corbin, coordinateur du centre LGBTI+ d'Angers, il s'agit d'une manière de "garder en mémoire" cette politique de discrimination et de montrer qu'"on ne souhaite pas que cela se reproduise".
Terrence Khatchadourian, secrétaire général de Stop Homophobie, estime également qu'il s'agit d'un "moyen de montrer qu'on sait tirer les leçons" du passé, un "devoir envers les générations actuelles et futures". Il déplore toutefois un texte trop restrictif, qui "exclut de nombreuses personnes concernées": "toutes celles condamnées avant 1942 mais aussi celles harcelées par la police ou internées à l'hôpital". Le militant regrette également les tergiversations autour de la réparation financière: "on veut de vraies excuses, un travail de mémoire et des mesures concrètes pour réparer ce pan sombre de notre histoire".
Francis Carrier, militant et fondateur de Grey Pride, association de senior LGBT+, approuve, lui, l'esprit de la proposition de loi mais souhaite voir les politiques s'emparer d'autres problématiques actuelles: "occupons-nous en priorité des maltraitances que l'on fait vivre à certains dans la société d'aujourd'hui", suggère-t-il.