Des milliers de personnes contraintes à la prostitution et au travail forcé.
Selon une enquête officielle publiée ce jeudi 16 octobre et qui se base sur la remontée des associations, 7 285 personnes étaient victimes d'exploitation ou de traite en 2024, un chiffre en hausse de plus de 20% sur un an.
Exploitation sexuelle
Dans le détail, 86% des 4 000 personnes accompagnées par les associations l'an dernier étaient victimes d'exploitation sexuelle, les autres étaient exploitées par le travail, notamment domestique (11%), à des fins d'activité criminelle (2%) ou de mendicité forcée (1%).
Au total, 89% des victimes étaient des femmes.
Les victimes de traite et d'exploitation "sont de plus en plus nombreuses", a souligné Roxana Maracineanu, secrétaire générale de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), à l'initiative de cette enquête.
"Pires réalités de notre temps"
Or ce sujet "grave est encore trop largement méconnu alors même qu'il révèle certaines des pires réalités de notre temps" et que la traite "figure parmi les activités criminelles les plus lucratives", a indiqué la vice-bâtonnière de Paris Vanessa Bousardo, à ses côtés lors d'un colloque à Paris.
Sur le terrain, les remontées sont de plus en plus nombreuses de femmes, d'hommes, d'enfants exploités à des fins de prostitution, de travail forcé, ou contraints de commettre des infractions.
Mais si les cas d'exploitation sexuelle sont de plus en plus pris en compte, les victimes des autres cas de traites restent encore trop souvent sous les radars.
Exploitation au travail
Rebaptisé "les vendanges de la honte", le procès d'une exploitation en Champagne a toutefois permis cet été de lever le voile sur certaines pratiques dans le secteur.
Trois personnes ont été condamnées à des peines de prison ferme notamment pour traite d'êtres humains pour avoir hébergé des saisonniers étrangers dans des conditions indignes (literies de fortune, état répugnant des toilettes, risque électrique, nourriture avariée...).
En février, un gérant d'une boulangerie située en Seine-Saint-Denis était lui condamné à de la prison ferme pour avoir fait travailler ses salariés plus de 70 heures par semaine sans congé pour une rémunération dérisoire (de 2 à 3 euros de l'heure).
Selon les chiffres de la direction générale du travail, 459 personnes ont été victimes d'exploitation ou de traite en 2024, essentiellement dans les secteurs de l'agriculture, du BTP ou encore de l'hôtellerie-restauration.
Condamnations rares
L'exploitation à des fins criminelles a elle connu un coup de projecteur sans précédent avec le procès dit des "petits voleurs du Trocadéro" de janvier 2024. Six ressortissants algériens, qui avaient initié à la drogue et gardé sous emprise des adolescents isolés pour les contraindre à commettre des vols sur les touristes, ont été condamnés à Paris à des peines allant jusqu'à six ans de prison ferme.
Mais ces condamnations restent encore rares.
"Si la traite d'êtres humains prospère, c'est en grand partie en raison de nos failles institutionnelles, judiciaires ou administratives", estime Roxana Maracineanu.
La "traite est encore très peu poursuivie", abonde l'avocate au barreau de Paris Virginie Boulay, qui pointe une "méconnaissance" de cette problématique tant des policiers et gendarmes que des magistrats.
"Non sanction et non poursuite"
Pour l'avocate, il est pourtant crucial "que la traite soit reconnue pour les victimes afin qu'elles puissent toucher du doigt la gravité des faits, se reconstruire et avoir une meilleur indemnisation". Cela l'est tout autant, poursuit-elle, pour les auteurs, pour qu'ils prennent conscience qu'ils ont commis "une infraction qui viole les droits de l'homme".
Autre difficulté relevée par les acteurs du secteur, le fait que certaines victimes, avant même d'être reconnues comme telles, sont encore trop souvent considérées comme auteurs d'infractions. Pour y remédier, ils réclament depuis des années - en vain jusqu'ici - l'application effective d'un "principe de non sanction et de non poursuite".
Le calendrier pourrait jouer en leur faveur. Comme tous les Etats membres, la France a jusqu'au 15 juillet 2026 pour transposer dans son droit une directive européenne visant à prévenir la traite d'êtres humains et à mieux protéger les victimes.