Au milieu des barres d’immeubles, sous un soleil d’automne, une longue procession blanche avance en silence.
Chacun a fait ce qu’il a pu, arborant ici une écharpe crème, là un gilet aux couleurs passées. Mais pas d’inquiétude, en arrivant près du rond-point, des bénévoles distribuent de larges tee-shirts blancs à enfiler par-dessus les doudounes et manteaux.
Ce samedi 22 novembre à 15h, environ 6200 personnes se sont rassemblées dans le 4e arrondissement de Marseille, pour rendre hommage à Mehdi Kessaci, assassiné en plein jour le 13 novembre dernier.
Le jeune homme de 20 ans attendait sa mère devant le centre médical du rond-point Claudie d’Arcy, lorsqu’il a été abattu de six balles dans le thorax. Celui qui se destinait à enfiler le costume de gardien de la paix était le frère du militant Amine Kessaci, engagé contre le narcobanditisme et fondateur de Conscience, l’association d’aide aux victimes du narcotrafic qu’il a fondée en 2020 après la mort d’un autre frère, Brahim. L’hypothèse d’un assassinat d’intimidation est privilégiée. Les investigations ont été confiées au parquet de Paris et à la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée.

Neuf jours après le drame, de nombreux marseillais sont donc venus soutenir la famille endeuillée, et montrer leur résistance face aux narcotrafiquants, autour du rond-point Claudie d’Arcy.
Marie Jo, qui n’a pas souhaité donner son nom de famille, arbore une écharpe d’un blanc immaculé. Pour cette élue communiste du 3e arrondissement de Marseille et retraitée des douanes, participer à cette marche blanche était une évidence.
“Je connais bien les quartiers populaires, en tant qu’élue chargée de la sécurité, je vois que la situation s’est dégradée ces dernières années”, déplore-t-elle. “Il faut une prise de conscience et que tout le monde se lève pour mettre fin à ce fléau du narcotrafic”. Émue, elle se tourne vers les trois femmes qui l’accompagnent, elles aussi retraitées des douanes de la région, elles aussi consternées et très inquiètes.
“Ils ne viendront quand même pas nous tirer dessus ici”, entend-on dans la foule qui s’étoffe petit à petit. Les forces de l’ordre sécurisent les alentours, de nombreux élus sont venus faire acte de présence.
Le maire PS de Marseille Benoît Payan, la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, les patrons des Ecologistes Marine Tondelier, des communistes Fabien Roussel, des socialistes Olivier Faure, mais aussi Raphaël Glucksmann ou François Ruffin. Une sorte d’union sacrée, réclamée par Benoît Payan, face au narcotrafic.
"C'est partout le même problème"
“Ça fait mal”. Un bouquet de fleurs blanches à la main, Myriam et Eric (les prénoms ont été modifiés), échangent tout bas pour ne pas briser la quiétude du moment. Marseillais depuis 67 et 62 ans - leurs âges respectifs -, ces parents et grands-parents se disent “désabusés” et “en colère”. “C’est dramatique, qu’est-ce qu’est devenu Marseille ?”, se demande Eric, fustigeant “l’incompétence” des politiques et la fin de la police de proximité, “on avait besoin de policiers dans les quartiers”. Il aurait aimé que des joueurs de l’Olympique de Marseille soit présent aujourd'hui, “pour parler à tous les jeunes”.
Myriam lui coupe presque la parole. Elle a besoin de parler, de raconter son quotidien, l’inquiétude pour son fils, les narcotrafiquants “qui n’ont peur de rien, et nous qui avons peur de tout”. Pour elle, le problème vient du cloisonnement “des pauvres au nord et des autres au sud” de la cité phocéenne. Deux populations, qui ne se côtoient pas, n'échangent jamais.
Ce constat d’une ville coupée en deux est partagé par nombre d’habitants. A quelque mètres derrière Myriam, une jeune femme grelotte sous une chapka. Alice (le prénom a été modifié), 35 ans, est arrivée de Bordeaux il y a à peine trois mois. Mais elle a déjà conscience de la tranquillité de son quartier, près du vieux port. Venue pour montrer son indignation face à la violence de l’assassinat de Mehdi Kessaci, elle tient à préciser : “ce n’est pas qu’à Marseille, c’est partout le même problème. Mais il prend une autre dimension avec ce drame, car Amine Kessaci n’était pas une menace directe pour les narcotrafiquants, il se contentait de dénoncer leurs actes, et son frère a été tué pour cela”.

Quelques murmures puis des applaudissements viennent briser le silence. Entourés de Yael Braun Pivet et Benoit Payan, Amine Kessaci et sa mère s’avancent vers la foule. “Bravo Amine !”. “Justice pour Medhi !”. L’admiration pour ce jeune homme de 22 ans, endeuillé par deux fois et sous protection policière, est immense.
Une minute de silence est observée puis un discours pré-enregistré d'Amine Kessaci est diffusé.
“Mon frère Mehdi était innocent. Retenez son nom (...) Il faut que notre jeunesse puisse grandir sans peur de mourir”. Lui aussi dénonce la fin de la police de proximité et demande plus de moyens pour les enquêteurs.
"Mon cœur est déchiré, je suis inconsolable"
Sous un bonnet blanc en crochet, arborant un tee-shirt avec une photo de son fils, c’est au tour de Wassila Kessaci de s’exprimer, la voix brisée par les sanglots,
“Mon cœur est déchiré, je suis inconsolable (...) Mon fils Mehdi était doux…C’est le deuxième fils qu’ils me prennent”. Elle harangue ensuite les “assassins” de son fils, “vous m’avez déjà tuée mais vous ne tuerez jamais mon amour”. Puis incapable de continuer, c’est l’ex-secrétaire d’État Sabrina Agresti-Roubache qui prend sa feuille pour finir son texte à sa place.
L’émotion est telle qu’une deuxième minute de silence s’impose. Puis les quelques 6000 personnes présentes lèvent les mains au ciel, dans un geste d’union. Après la famille et les élus, ils seront nombreux à défiler pour allumer une bougie ou déposer une fleur à l'endroit où Mehdi Kessaci a perdu la vie. Des marches blanches ont également été organisées dans une vingtaine de villes du pays, notamment à Paris et Toulouse.








