Une visite de Gérald Darmanin à Nicolas Sarkozy pourrait porter "atteinte à l'indépendance des magistrats", estime le plus haut procureur de France

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À la veille de l'incarcération de l'ancien chef de l'Etat, Gérald Darmanin avait déclaré qu'il irait "voir en prison" Nicolas Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité". Il avait également fait part de sa tristesse pour son ancien mentor en politique. Les syndicats de magistrats dénoncent une "confusion des rôles".
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La visite que le ministre de la Justice Gérald Darmanin compte faire à l'ancien président Nicolas Sarkozy en prison présenterait un risque "d'atteinte à l'indépendance des magistrats", a mis en garde ce mardi 21 octobre, le plus haut procureur de France, Rémy Heitz.

Cela poserait un "risque d'obstacle à la sérénité" avant les prochaines échéances judiciaires dans le dossier libyen et notamment le procès en appel, "et de risque donc d'atteinte à l'indépendance des magistrats", a dit le procureur général près la Cour de cassation sur Franceinfo.

"Devoir de vigilance"

"S'assurer de la sécurité d'un ancien président de la République en prison, fait sans précédent, n'atteint en rien à l'indépendance des magistrats mais relève du devoir de vigilance du chef d'administration que je suis, responsable devant le Parlement selon l'article 20 de la Constitution", a répliqué le ministre de la Justice.

Cet article dispose que "le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation" et "dispose de l'administration et de la force armée".

"Tristesse"

Lundi, à la veille de l'incarcération de l'ancien chef de l'Etat, Gérald Darmanin avait déclaré qu'il irait "voir en prison" Nicolas Sarkozy pour s'inquiéter "de ses conditions de sécurité".

"Le ministre de la justice peut aller voir n'importe quelle prison et n'importe quel détenu quand il le souhaite", avait-il ajouté.

Le ministre est un proche de l'ancien chef de l'Etat et, s'il a insisté sur l'importance de "faire attention à la sécurité d'un ancien président dans la prison de la Santé", il a aussi exprimé sa "tristesse".

"L'homme que je suis, j'ai été son collaborateur, ne peut pas être insensible à la détresse d'un homme", a-t-il poursuivi.

"Confusion des rôles"

Cette annonce de visite relève de la "démarche médiatique" et de la "confusion des rôles" entre celui de ministre de la Justice et d'ami de l'ancien chef de l'Etat, ont dénoncé dans la foulée les syndicats de magistrats.

"Y va-t-il comme garde des Sceaux ou comme ami ?", s'est interrogé Ludovic Friat, président de l'Union syndicale des magistrats (modéré, majoritaire), selon qui cette annonce "relève d'une démarche médiatique".

Le ministre de la Justice "doit se garder de donner l'impression de pencher dans un sens ou dans un autre" dans une procédure et "doit veiller à se tenir à distance des affaires traitées par l'autorité judiciaire", a ajouté le responsable syndical.

"Préserver l'impartialité de l'institution judiciaire"

Evoquant le conseil donné lors de la passation de pouvoir par l'éphémère prédécesseur de Gérald Darmanin, Didier Migaud, le responsable syndical a estimé qu'"être garde des Sceaux, c'est aussi ne pas pouvoir toujours s'exprimer publiquement", "c'est aussi garder pour soi ses émotions, ses opinions, ses réactions, en vue de préserver par dessus tout l'impartialité de l'institution judiciaire".

Le Syndicat de la magistrature (classé à gauche) déplore de son côté "cette confusion des rôles qui conforte dans l'opinion l'idée d'un traitement de faveur à l'égard de certains justiciables". "Toutes les personnes détenues méritent l'attention du garde des Sceaux, y compris celles qui ne sont pas ses amies", fait valoir le syndicat.

Nicolas Sarkozy a été condamné le 25 septembre à cinq ans de prison pour association de malfaiteurs. Le tribunal l'a reconnu coupable d'avoir laissé ses plus proches collaborateurs ourdir un pacte avec la Libye de Mouammar Kadhafi dans l'objectif de financer de manière occulte sa campagne présidentielle de 2007.

Si elle a mis au jour des versements de fonds depuis la Libye, l'enquête n'a pas permis d'établir que l'argent était bien arrivé "in fine" dans les caisses de campagne de Nicolas Sarkozy.

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