Alexandre Aja explique comment faire peur au cinéma

"Ce qui fait peur, ce sont les personnages qui vont avoir peur et auxquels on va s'identifier." L'un des plus grands cinéastes français d'horreur nous raconte comment on fait vraiment peur au cinéma. On a rencontré Alexandre Aja, membre du jury du Festival du cinéma américain Deauville.

Qu’est-ce qu’un film d’horreur, selon Alexandre Aja ? 


Tout commence par une erreur de location, qui le pousse à voir Shining à la place de Superman 2. Il regarde le film et est pétrifié dès les premières scènes, à tel point qu’il lui est impossible de se lever pour atteindre le magnétoscope et d'arrêter la cassette. Avec ces premières peurs, il découvre la capacité incroyable d'immersion, d'oublier que le monde existe complètement aspiré dans une histoire. “Ce moment où, on oublie, on rentre, on traverse l'écran, on traverse le livre, on oublie qu'on est là et que quelqu'un nous raconte, on rentre dans une histoire et on vit une expérience presque à la première personne. Et c'est ça, à mon avis, qui m'a beaucoup plu et c'est ça qui m'a donné envie plus tard de faire ce type de film.”


Pour lui, ce n’est pas le sang ou les montres qui font peur au public mais les personnages. “Ce sont les personnages qui vont avoir peur et auxquels on va s'identifier. Ce n'est pas la taille de la météorite ou la boule de feu, ou peu importe ce qui va tomber, qui va être l'élément qui va faire peur, c'est d'avoir peur avec les gens qui vont courir pour l'éviter. Et, en tout cas, de mon côté, je sais qu'il y a d'autres gens qui font un cinéma d'horreur d'une autre manière, mais moi, ça a toujours été mon approche.”, ajoute-t-il.

La démarche artistique derrière le film “Zone of Interest"


Les formules qui font peur


Le réalisateur explique qu'il existe de nombreuses formules pour faire peur : le jump scare, le faux jump scare, le double jump scare par exemple. Pour lui, le jump scare, qui est un sursaut serait l’équivalent l'éclat de rire général dans une comédie. C’est le moment où la salle entière sursaute, ce qui est pour lui, assez fabuleux. “Et c'est assez fabuleux quand on est dans une salle de cinéma et qu'il y a un vrai jump scare, il y a vraiment 300 personnes, 400 personnes à l'unisson qui, au même moment, à la même microseconde, vont bondir de leur siège. Et voilà, c'est indéniable, comme réaction! En fait, c'est... C'est la peur la plus, comment dire, la plus simple. C'est celle qu'on fait quand on est caché derrière une porte et qu'on attend que quelqu'un passe et on va lui faire bohh. Et la personne va sursauter. C'est vraiment aussi con que ça.” 

Discussion avec le réalisateur Baloji


Ces formules sont utilisées quand elles sont logiques, quand elles arrivent de manière naturelle dans l’histoire. “Et moi, c'est un des trucs qui me plaît le plus dans ce type de cinéma, c'est, en fait, cette idée toute bête que quand on va voir un film d'horreur, quand on va voir un film de peur, un thriller, on ne vient pas neutre, vierge. On a plein d'autres films qu'on a vus, qui nous ont un petit peu conditionné à avoir certains réflexes et certaines réactions. C’est-à-dire qu'on sait que, après une musique de suspense, il va y avoir un jump, qu'il va y avoir un sursaut. Bref, tous ces éléments un petit peu classiques. Et c'est parce qu'on sait tout ça que le rôle du réalisateur, le rôle du scénariste, c'est justement de ne pas oublier et de réinventer. Et c'est là où ça devient vachement intéressant, c'est qu'on va devoir, film après film, réfléchir et se dire: ‘c'est ça qu'ils attendent, bah c'est pas ça qu'on va faire, on va faire autre chose.’ Mais évidemment, avec les cycles, on revient toujours, à un moment donné, à dix ans avant, quinze ans avant et là, par exemple, on a passé une petite décennie où le jump scare était un petit un peu passé. C'est un petit peu même vulgaire, Et là, j'ai l'impression que ça revient en force.”


La musique prend une grande place dans ce cinéma


Pour Alexandre Aja, la musique représente presque la moitié d’un film d’horreur. Elle est comme une écriture parallèle, une sorte de baromètre de l'émotion ou une voix off inconsciente. “Tout d’un coup, on ne va pas entendre ce que pense le personnage mais on va ressentir ce que ressent le personnage à travers la musique. Et évidemment, c'est un élément pour nous pour manipuler le spectateur et pour lui faire peur, où, évidemment, on va créer des fausses pistes, des fausses montées de suspense qui n'amènent à rien, derrière, il va y avoir quelque chose d'autre qui va faire sursauter. Mais finalement, la musique, elle existe aussi par les silences qu'elle crée. C’est-à-dire qu'une musique de film, elle est essentielle, évidemment, mais son intensité, son rôle, va aussi exister aux silences par rapport qu'il va y avoir entre. Je pense que le silence dans le cinéma de genre et de peur est tout aussi important, que le bruit, ou que la musique ou que les effets de son qu'on va créer.”, ajoute-t-il.

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Peut-on avoir autant peur devant un film d’horreur chez soi qu’au cinéma ? 


“C’est très compliqué. J’aimerais dire, c’est la salle, sans aucun doute. Mais je mentirais parce que quelques-unes de mes plus grosses peurs, je les ai eues tout seul sur mon canapé. Mais je les ai eues aussi en salle. C'est un peu les deux. Et puis quand j'y réfléchis, j'ai été terrifié aussi en lisant des Stephen King dans un bus. Donc je pense que c'est la qualité que de la manière dont l'histoire va être contée et comment ça va être raconté qui fait, en fait, la peur. Et ensuite, si on le regarde sur un grand écran, c'est génial, si on regarde chez soi, ça peut être bien aussi, mais quand même, quand même, je dois dire que quand on rentre pour voir un film qui fait vraiment peur et que le film vient d'être passé à la séance précédente et qu'on sent encore la chaleur dans la salle des gens qui ont eu peur, qui se sont vraiment… qui ont été tendus pendant 1h30, il y a quelque chose de magique. Et puis d'être avec plein de gens autour, de sentir cette tension, ce moment, de voir les gens qui se cachent, ou qui se bouchent les oreilles, c'est toujours… C'est toujours fascinant.”, indique Alexandre Aja.

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