Harcèlement par la "Ligue du LOL" : Léa Lejeune et Florence Porcel racontent

"J'en ai pleuré pendant 3 jours, j'avais peur de sortir de chez moi" Léa Lejeune et Florence Porcel ont accepté de témoigner pour Brut du harcèlement qu’elles ont subi de la part de certains membres de la « Ligue du LOL », un groupe privé sur Facebook.

Florence Porcel et Léa Lejeune, victimes de la ligue du LOL


En février 2019, on apprenait que des journalistes de grands médias, comme Les Inrocks ou Libération, avaient cyberharcelé pendant plusieurs années - majoritairement des jeunes femmes.


Nous sommes en février 2019. Plusieurs internautes, notamment sur Twitter, accusent des journalistes et quelques communicants de les avoir cyberharcelés dans les années 2010, voire d’avoir ligué des dizaines de personnes contre eux. Parmi eux, Vincent Glad, Alexandre Hervaud et David Doucet, depuis remerciés par leurs rédactions, Libération et les Inrocks.


Le 7 février, l’AFP révélait que le parquet de Paris avait ouvert une enquête pour « harcèlement » depuis plusieurs mois. Florence Porcel (experte en vulgarisation scientifique), et Léa Lejeune, (journaliste économique), cibles privilégiées de la ligue du LOL, témoignent.


« Je vivais dans la peur »


Léa Lejeune : La Ligue du LOL, c'était un groupe de potes qui avait ce groupe Internet, qui à la base était fait pour raconter des blagues. Mais c'étaient des journalistes qui étaient dans des médias importants, dans des médias influents, dans ceux dans lesquels nous, en tant que jeunes femmes journalistes, on avait aussi envie de travailler. Et la Ligue du LOL, c'étaient des gens qui avaient plus de 5.000 followers sur les réseaux sociaux. Ils avaient un pouvoir de nuisance grâce à tous les gens qu'ils rameutaient.


Florence Porcel : Je vivais dans la peur, vraiment. Et il y a toujours cette tension : « Quand est-ce que ça va tomber, et sous quelle forme ? » J’ai commencé à subir le harcèlement de la Ligue du LOL en 2010. Et ça a duré jusqu'en 2013. Ça a été quatre années de harcèlement. Au début, c'étaient des attaques très ciblées, en meute. C'étaient des injures, des insultes, des messages assez malveillants qui venaient de nulle part, de comptes pour la plupart sous pseudonyme ou anonymes. J'ai eu le droit à mon photomontage à caractère pornographique : ma tête sur une image d'une actrice pornographique dans une position très équivoque.


« J’ai eu droit aux canulars téléphoniques, aux commentaires sur ma vie sexuelle »


LL : En fait, le plus dur, c'étaient les raids. J’en ai subi trois ou quatre. C'étaient eux qui arrivaient derrière un tweet, par exemple, un tweet où je parlais d'un article féministe, où je parlais, peut-être, de patriarcat, de culture du viol, de mansplaining, de ces concepts qu'on utilisait à l'époque de manière balbutiante. Ils arrivaient en masse et ils ramenaient tous les autres, qui étaient insultants. J’ai aussi eu droit aux canulars téléphoniques, aux textos, aux appels, aux commentaires sur ma vie sexuelle sous le blog que je tenais à l'époque. Les attaques les plus dures ne venaient pas forcément directement d’eux, mais de tous ceux qu'ils ramenaient avec eux. Mais ils étaient responsables, parce qu’ils se coordonnaient, et parce qu'ils étaient inconséquents, ils ne réfléchissaient pas à ce qu'allaient subir les victimes.


FP : Un membre de la ligue s’est fait passer, lors un coup de fil, pour un producteur qui me proposait du travail. Un jour, j'ai découvert, par le biais d'un tweet, que le coup en question avait été mis en ligne. L’humiliation était double, puisqu'il était désormais en ligne, public et accessible à tous. J'en ai pleuré pendant trois jours, j'avais peur de sortir de chez moi. C’était une escalade dans la violence, et je ne savais absolument pas quand ça allait s'arrêter. J’ai été assez effarée de voir le nombre de victimes qu'on a été. Je savais qu'il y en avait quelques unes, j'avais des noms bien identifiés, mais je n'imaginais pas l'ampleur du phénomène.


« Ça se rapproche beaucoup du harcèlement scolaire »


LL : Le cyber-harcèlement, ça se rapproche beaucoup du harcèlement scolaire. Ce sont les mêmes mécanismes, ce sont les gens cools de la cour de récré qui vont s'en prendre à ceux qu'ils considèrent comme étant les plus faibles. Et donc, en fait, c'est un mécanisme qui est déjà sanctionné par la loi et donc, ça existe en dehors de la sphère journalistique et ça existe, probablement, dans d'autres milieux.


FP : Moi, je n'oublie pas le harcèlement ciblé et en meute. Je n'oublie pas les photomontages à caractère pornographique. Je n'oublie pas le canular téléphonique. Je n'oublie pas d'avoir été intimidée physiquement sur mon lieu de travail. Je n'oublie pas tout ça.


LL : Ce que j'espère en prenant la parole, c'est qu'ils puissent se rendre compte de comment ça fonctionnait et de comment ils ont fait du mal, même ceux qui n'ont pas envoyé d’injures directement. J’espère que ça va s'arrêter dans les rédactions, qu'il n'y aura plus ce système d’impunité, ces réseaux sociaux-cours de récré où les journalistes peuvent écrire tout ce qu'ils veulent. Ce que je ne souhaite pas, c'est qu'ils soient harcelés à leur tour. Quand on est passé par là, on n'a pas envie de le souhaiter aux autres.


La législation sur le harcèlement a été renforcée en août 2018 avec l'introduction de sanctions contre les « raids numériques ». Les harceleurs encourent jusqu'à trois ans de prison et 45.000 euros d'amende.


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