Pourquoi on prend nos plats en photo ? – Brut Philo

BRUT PHILO. Un resto entre amis, le plat arrive sur la table et là, premier réflexe pour beaucoup : le prendre en photo pour le mettre sur Instagram. Mais pourquoi finalement ? On a posé la question au philosophe Valentin Husson.

Au restaurant, souvent, les gens prennent en photo leurs plats avant de les manger et puis les diffusent sur les réseaux sociaux, sur Instagram notamment. Comment l’interprète un philosophe ? Nous avons posé la question à Valentin Husson, auteur du livre “L’art des vivres : une philosophie du goût”. “Sur les réseaux sociaux,il y a comme une chape de plomb morale sous laquelle on vit. On dit des choses mais on est tout de suite repris. Et au fond, partager les contenus de ses plats, c'est injecter un peu de bon pour se défaire de l'injonction au bien, c'est injecter un petit peu de légèreté dans le sérieux de l'époque” déclare le philosophe. Selon lui, photographier ses aliments n’est pas nouveau. “Autrefois, on peignait déjà des natures mortes. On y présentait, bien sûr, l'alimentation quotidienne, mais on y présentait aussi, des aliments extrêmement rares : le citron, l’huître, le homard, le fromage, c'est-à-dire des nourritures extrêmement rarissimes, extrêmement érotiques, auxquelles le commun des mortels n'a pas accès”.

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“La manière dont on publie nos plats sur Instagram a quelque chose à voir avec les natures mortes”


Il ajoute : “Par ailleurs, les natures mortes étaient appelées des vanités. Parce qu'on y présentait parfois un crâne, et ce crâne-là devait nous rappeler au caractère éphémère de la vie. Et je dirais que la manière dont on publie nos plats sur Instagram a quelque chose à voir avec ces natures mortes. C'est-à-dire que le plus souvent, nous ne publions pas les repas les plus quotidiens, nous publions des mets extrêmement rares, extrêmement esthétiques, qui donnent envie, qui mettent l'eau à la bouche. Et au fond, on affirme par là, comme les natures mortes l'affirmaient, quelque chose comme une distinction sociale. On dit quelque chose du milieu social auquel on appartient. Je vais prendre des exemples un petit peu clichés, mais ça ne fait pas sens de la même manière de partager une assiette de caviar ou avec de la blanquette de veau”

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Valentin Husson qualifie le hashtag foodporn ou pornfood de “chose extrêmement intéressante”. “C'est comme une échappatoire de la morale ambiante. C'est au fond le bon vivant qui prend sa revanche sur le bien-pensant. Il n'y a pas de mal à se faire du bien, et il y a quelque chose de très satisfaisant à voir les photos d'un plat gras, d'un burger dégoulinant. Il y a quelque chose d'extrêmement réconfortant. Et il ne faut pas mésestimer, encore une fois, cette dimension consolante de la nourriture”. Dans son livre “L’art des vivres : une philosophie du goût”, Valentin Husson a souhaité “s'interroger, non seulement sur le rapport à la cuisine et à la gastronomie, mais aussi sur la manière dont les philosophes ont déprécié la cuisine et le corps au profit de l'esprit et de l'intellect. Et je voulais rappeler au fond cette évidence que l'existence est aussi faite de plaisir et pas simplement de théorie et de morale, que l'existence est avant tout dans une dimension sensuelle et consolante, et que la nourriture remplit cette exigence-là de l'existence”.

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