20 ans après avoir été violée, Giulia Foïs partage son histoire

De nombreuses femmes racontent le viol qu'elles ont subi avec le hashtag #JeSuisUneVictime. 20 ans après avoir été violée, Giulia Foïs partage son histoire.

Giulia Foïs : « Le viol se pratique partout, à tous les étages de la société, tout le temps »


La journaliste a été violée il y a 20 ans. Aujourd’hui, est publie un livre sur le sujet, « Je suis une sur deux », dont la sortie est prévue le 4 mars aux éditions Flammarion.


J’ai la chance, alors avec un peu d’ironie et pas mal de guillemets, quand même, parce que je m’en serais bien passée. Disons que j’ai eu de la chance parce que j’ai eu le bon viol. En fait, ce que je veux dire, c’est que le viol, c’est hallucinant à quel point on sait tous au fond que ça se pratique partout, à tous les étages de la société, tout le temps et depuis la nuit des temps. Mais en même temps, comme on refuse de le penser, comme on refuse de l’admettre, parce que ça fait appel à des terreurs tellement enfouies, qu’on se dit qu’on vit mieux en mettant un couvercle dessus, on est dans un impensé total.  


« L’écrasante majorité des victimes connaissent l’homme qui les viole »


Et dans cet impensé, les féministes ont fini par ouvrir une petite fenêtre. La petite fenêtre de l’envisageable et du concevable. C’est le viol qui est commis de nuit, sur un parking, avec une arme. J’ai subi ce type de viol-là. En réalité, il est ultra minoritaire, c’est 1 sur 10. L’écrasante majorité des victimes connaissent l’homme qui les viole. Moi, je suis tombée dans cette case-là, donc c’était plus facile à dire, parce que je savais que ça allait être plus facile à entendre.


Ça n’a pas empêché que mon violeur soit acquitté à l’arrivée, ça n’a pas empêché que j’en prenne plein la gueule, mais enfin, j’ai pu quand même en parler, j’ai pu porter plainte, j’ai pu dire à la société et dire devant lui : « J’ai été violée et on n’a pas le droit de me faire ça. » C’est fondamental pour l’après, pour se reconstruire. J’ai pu me remettre debout.


« On l’a répété en cour d’assises : il n’avait pas le profil du violeur »


J’ai eu le mauvais violeur, en revanche. Je ne compte plus le nombre de fois où on m’a demandé si l’individu était de type maghrébin… Non. Et puis il était père de famille et puis il payait ses impôts. Ça, je l’ai entendu comme argument, le fait qu’il paye ses impôts le rendrait inapte à violer. Et puis il était père de famille. Et puis il était entraîneur d’une équipe de foot. Enfin, tout ça en faisait un « comme nous ». On l’a répété en cour d’assises : il n’avait pas le profil du violeur. La réalité, ce qu’il n’y a pas de profil du violeur puisqu’en fait, on viole dans tous les milieux et à tous les âges puisque c’est un système tout entier qui est en cause et qui autorise le viol, voire qui à certains égards l’encourage.


Je suis une mauvaise victime parce que ça ne se voit pas sur moi, parce que je ne corresponds pas à l’idée qu’on s’en fait, parce que je ne suis pas à terre. Extérieurement, je ne porte pas la marque de la souillure ou de la faute, parce que j’ai décidé de vivre malgré tout. J’ai tout fait pour que ça ne se voie pas. Je croyais naïvement que j’allais pouvoir limiter l’impact du viol. Je ne voulais pas que ça se voie, et on me l’a reproché. En cour d’assises, le procureur a dû se lever pour dire : « On ne peut pas lui en vouloir d’avoir voulu sauver sa peau cette nuit-là et on ne peut pas lui en vouloir aujourd’hui de vouloir aller bien. »


« Quand on est victime, si vous voulez être reconnue comme telle, il faut payer un tribut »


C’est-à-dire que quand on est victime, si vous voulez être reconnue comme telle, il faut payer un tribut… Et ça n’est pas qu’imagé : jusqu’au XIXe siècle, les victimes ont été punies autant que leur violeur. Aujourd’hui, ça existe encore. Les femmes qu’on lapide ou qu’on passe au vitriol parce qu’elles ont été violées. Dans l’inconscient collectif, la culpabilité est partagée, il va falloir qu’on paye, comme lui. La réalité, c’est que les violeurs ne payent pas, en général. En France, seuls 1 % des viols débouchent sur une condamnation. Par contre, nous, il faut qu’on paye.


Le prix à payer, c’est celui d’une vie à moitié. J’ai refusé, et c’est l’une des raisons pour lesquelles le procès a débouché sur un acquittement. Juste après le viol, j’ai eu un réflexe que toutes les victimes ont, c’est celui de me laver. Je voulais enlever toutes les traces de lui sur moi, je voulais enlever cette odeur, je voulais enlever ce que je sentais de lui sur ma peau. C’étaient des choses qu’on voyait à l’époque et qu’on voit encore dans les téléfilms, il y a une espèce de séquence obligée où les victimes se lavent. Ce qu’on ne raconte pas, c’est qu’elles enlèvent d’éventuelles preuves ADN…


« On ne va pas féliciter les hommes pour ne pas violer ! »


Au même moment, avec #jesuisunevictime, de nombreuses femmes racontent le viol qu’elles ont subi. Les femmes sont bel et bien décidées à l’ouvrir pour de bon. Je crois qu’aujourd’hui, on est arrivées à un point où plus rien ne nous fera taire. Mais encore une fois, c’est bon pour tout le monde, parce qu’une société qui met un couvercle sur ce qui déconne chez elle, c’est une société qui se sclérose. Peut-être que le moment est venu de passer à l’étape d’après, de mieux nommer les choses et de parler de violences masculines ? J’entends déjà tout le monde hurler en disant : « Oui, mais tous les hommes ne violent pas. » C’est juste la normalité, de ne pas violer. Il y a ce fameux hashtag, à chaque fois qu’on dénonce des violences sexuelles, #NotAllMen. Mais encore heureux !


On ne va pas les féliciter pour ne pas violer, pour ne pas frapper, pour ne pas harceler, pour ne pas agresser. C’est une perte de temps gigantesque. Si, à chaque fois qu’on parle de viol, il faut échanger même trois tweets ou occuper même une minute de ton antenne pour rappeler que non, tous les hommes ne violent pas, on perd un temps fou. On le sait. Est-ce que, une fois que c’est dit, on peut s’intéresser à ceux qui le font et voir comment on peut faire en sorte qu’ils ne le fassent plus ?


« Ça fait des années qu’on parle, c’est juste qu’on veut pas nous entendre »


La parole, elle s’est déjà libérée. Ça fait des années qu’on parle. C’est juste qu’on veut pas nous entendre. Quand on va enfin se déboucher les oreilles, qu’est-ce qu’on va faire de ces paroles, de ces témoignages, de ces récits, qu’est-ce qu’on en fait ? Il y a beaucoup de choses à faire. C’est pas très compliqué. Reste à savoir quand est-ce qu’on les fait, quand est-ce qu’on passe la seconde. Je parle de formation des flics, je parle de formation des médecins, je parle de formation des juges. Je parle de crédit alloué à des associations de lutte contre les violences faites aux femmes. C’est pas très, très compliqué, en fait.


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Brut.