Éloge de l'écoute par Sibyle Veil

BRUT BOOK. "L'écoute rend libre." Éloge de l'écoute par Sibyle Veil, présidente de Radio France et autrice de l'essai 'Au commencement était l'écoute'.

Le rapport à un contenu n'est pas la même chose en fonction du fait qu'on le regarde ou qu'on l'écoute. Je pense que l'écoute, c'est ce qui nous rend créatifs et que cette créativité, on en a besoin aujourd'hui” affirme Sibyle Veil, présidente de Radio France et autrice du livre Au commencement était l’écoute. Elle précise que “le son a une capacité de mobiliser votre imaginaire, mais il donne aussi la capacité de ressentir les choses, d'être co-créateur du contenu, alors que quand vous regardez une image, vous êtes prisonnier de l'image que l'autre vous a imposée et vous a présentée”. 

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“Les réseaux sociaux contribuent beaucoup à cette tension qu’on sent tous”


A propos des réseaux sociaux, la présidente de Radio France parle de “défouloir” qu’elle constate depuis plusieurs années. "Les réseaux sociaux ont été pour beaucoup d'entre nous un moyen d'expression et de connexion avec les autres aussi, et petit à petit, on a commencé à voir la mécanique insidieuse qui s'y développe. On voit bien que les réseaux nous poussent en permanence à être dans la surréaction, dans l'émotion, dans la contestation. Et ça contribue aussi beaucoup à cette division, cette tension qu'on sent tous confusément dans la manière dont les débats sont posés, dont l'actualité peut être ressentie, peut être commentée. La capacité à écouter doit nous permettre de prendre du recul par rapport à ça”. 

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Est-ce que vous pensez vraiment qu'on insulterait, qu'on serait aussi violent si on se retrouvait face à face ?” interroge Sibyle Veil. “Ce qu'on voit comme insultes, comme injures, qui sont postées sur des réseaux par des comptes anonymes en fait, c'est possible parce que c'est anonyme et que donc c'est déshumanisé. Et en effet, la virtualisation, ça fait qu'on n'est plus dans la relation avec l'autre. Donc on n'a plus cette empathie qu'on peut avoir quand on est face à face et quand on est en train d'écouter quelqu'un et donc de développer la compréhension pour ce qu'il est en tant qu'être humain et donc avoir envie aussi de l'aider”

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“Avec l'écoute, on retrouve de la liberté”


Elle explique que les images, les vidéos stimulent davantage les émotions, que l’audio, et donc favorisent davantage des risques de dépendance. “Avec l'écoute, on retrouve de la liberté, c'est-à-dire qu'on sort de la relation de dépendance qu'on peut parfois avoir avec des technologies qu'on maîtrise mais qu'on maîtrise plus ou moins bien, parce qu’on sait tous que l'un des moteurs des nouvelles plateformes qui existent aujourd'hui, c'est notre temps disponible, c'est comment capter notre attention”. Elle ajoute : “Quand on regarde dans l'histoire de l'humanité sur 200 ans, c'est une histoire où le temps de vie s'est allongé, le temps de travail a diminué et en fait, on n'a jamais eu autant de temps de loisir, autant de temps libre. Et pourtant, combien de fois j'entends par jour des gens autour de moi me dire : je n’ai plus le temps, je n'ai pas le temps, je suis… Vivement que je sois en vacances, vivement que je sois en retraite." On a l'impression que tout le monde court après le temps”

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On est de plus en plus dans une relation qui est virtuelle à la réalité


Pourquoi ? Parce qu'en fait, une grande partie de notre temps de loisir aujourd'hui est happé par la relation qu'on peut avoir à l'image, dans nos loisirs… On est de plus en plus dans une relation qui est virtuelle à la réalité”. Elle tient cependant à souligner que son propos “n’est pas contre les écrans” mais “ce que je constate, c'est que, que ce soit dans des réunions de famille, au bureau, avec des amis, très souvent, on est sollicité, happé par les pushs, par les messages qui arrivent, et donc on est sollicité par cet écran qui vient s'interposer entre nous. Et on est présent physiquement, mais on a l'esprit ailleurs. Et quand on a l'esprit ailleurs, on n'engage pas une vraie discussion, on n'est pas vraiment à l'écoute”. 

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Selon elle, contrairement à l’idée généralisée qui fait penser que “la parole rend libre”, pour la présidente de Radio France, “c’est l’écoute qui rend libre. Ça nous libère parce que, comme je l'expliquais tout à l'heure, le fait d'écouter quelque chose vous rend co-créatif de ce que vous écoutez. Ça a un pouvoir aussi de stimuler l'imagination et la créativité. Et je pense que dans le monde qui vient, ces capacités-là vont être absolument clés. Et enfin, ça apporte aussi autre chose, ça apporte la capacité à créer du lien dans une société où de plus en plus, c'est l'antagonisme qui est poussé, qui est au cœur de l'économie du buzz, au cœur du clash. C'est la phrase qui clashe, en général, qu'on republie, qu'on reposte, qu'on envoie à son voisin, à sa famille, et beaucoup conduit à nous diviser, aussi cette logique du buzz qui existe et qui valorise celui qui crie le plus fort, celui qui se met en colère, celui qui invective pour des choses importantes, pour les choses qui le sont moins”. 

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